Les sombres
héros de la mer

Cigarette au bec, Renaud Yhuel fait route vers Quiberon avec ses deux matelots, Fabrice et Souleymane. Il est trois heures du matin. La Belladone vient de quitter Lorient, son port d’attache.

Après une courte sieste, le temps d’arriver jusqu’au lieu de pêche, l’équipage s’en va relever les filets déposés la veille et s’active pour extraire les poissons, les trier et ranger les filets, tout en suivant la cadence de l’enrouleur mécanique.

Harassant, ce travail à la chaîne, de 4 heures du matin jusqu’à 14 heures non-stop, permet à chacun sur le bateau de gagner 2 000 à 3 000 euros par mois, en fonction des captures du jour : vieilles, congres, soles, raies, araignées de mer, merlus, carrelets, bars ou tacauds.

« Ce fileyeur appartenait à mon père. Je lui ai racheté au moment de sa retraite... C’est un métier qui n’attire pas beaucoup. On ne calcule pas nos heures ! », déplore le capitaine, râleur et débonnaire.

Depuis plusieurs années, la pêche bretonne connaît d’importants problèmes de recrutement qui touchent aussi bien les grands armateurs comme la Scapêche, Porcher ou la Houle, que les petits patrons.

« Cela devient de plus en plus difficile de trouver des matelots compétents, qui sont là le matin à 2h30 du lundi au samedi, affirme Renaud. Y’a du monde dans les écoles, mais après y’a personne sur le quai ! Nous on a besoin d’aller en mer pour gagner notre vie. Quand on ne trouve pas de main d’œuvre française, on prend des étrangers, sénégalais ou mahorais [ces derniers sont français], comme dans beaucoup d’autres professions ».

Dans sa cabine étriquée, Renaud Yhuel fait tous les jours son plan de route et peste contre les projets d’éoliennes, qui rétrécissent les zones de pêche.

Sur le bateau, Renaud, Fabrice et Souleymane qui gagnent le même salaire, subissent les aléas du marché, selon la saison. Parfois, les prises ne parviennent pas à compenser les frais engagés.


Payé 2 000 à 3 000 euros par mois, cet emploi permet cependant à Souleymane N’Dong de vivre convenablement en France, avec un permis de travail.


Souleymane débarque le poisson tous les jours au port de Lorient. Une exception dans un métier où les campagnes de pêche durent de deux à trois semaines.


Lors des temps de repos, Souleymane se promène à Lorient avec ses amis Bara et Amadou. Tous trois ont travaillé en Espagne avant d’arriver en Bretagne.

Avant d’arriver à Lorient, Souleymane avait déjà travaillé en Espagne dans la pêche à la sardine et à l’anchois et avait des papiers en règle.

Lorsqu’il est venu demander du travail sur le quai il y a trois ans, Renaud l’a embauché sans hésiter : « Les pêcheurs sénégalais sont des gars compétents qui apprennent leur métier très rapidement. Et ils n’ont pas spécialement de vie de famille à terre, ça ne les intéresse pas de rentrer tous les jours chez eux ! »

« De toute façon, il n’y a plus que les pêcheurs sénégalais pour demander à embarquer. Les jeunes comme moi cela ne les intéresse plus. La pêche, c’est travailler beaucoup pour gagner péniblement sa vie », commente Fabrice, un peu désabusé.

À bord, il n’y aucune différence entre les hommes, pourvu qu’on ait du cœur à l’ouvrage… Renaud commande, Souleymane et Fabrice s’activent en faisant blagues.

Mais quand il débarque, il passe son temps à communiquer sur WhatsApp avec sa famille ou à suivre les matches de lutte sénégalaise. Comme si le mal du pays le retenait encore. « Cela ne doit pas être évident pour lui tous les jours, mais c’est son choix. Un choix que je n’aurais pas fait », glisse Renaud.

À Lorient, si les marins font l’aller-retour dans la journée sur les fileyeurs, ils peuvent passer jusqu’à deux à trois semaines en mer pour pêcher au large de l’Irlande ou de l’Écosse, avec de maigres temps de repos.

Et à leurs côtés, toujours, se trouvent des pêcheurs sénégalais…