Qu’est-ce que le lobbying ? Cette simple question fait débat en raison de l’image négative véhiculée par les lobbies.
Historiquement, dans les pays anglo-saxons, le terme "lobbying" décrit une activité qui consiste à essayer d’influencer la fabrique de la loi, que ce soit en empêchant qu’une loi ne soit inscrite à l’agenda du législateur ou en formulant une loi "clé en main". Cette définition, qui date de la Seconde Guerre mondiale, est par la suite étendue à toute tentative d’inscrire un thème sur l’agenda public et d’en faire un sujet de discussion dans le cadre du système politique.
"On est déjà en présence de deux techniques très différentes : l’une qui va viser le personnel politique pour lui faire changer un dispositif et une autre qui va être beaucoup plus élargie, auprès des médias notamment, pour que le public soit sensibilisé et convaincre les élus par ce biais de se saisir du sujet", souligne le chercheur Guillaume Courty.
En France, la pratique est plus récente et il faut attendre la première loi sur la transparence de la vie publique, votée en 2013 après l’affaire Cahuzac, pour qu’une définition soit formulée. Celle-ci (lire la définition complète) précise enfin les choses : est un représentant d’intérêts toute personne agissant pour le compte d’une société commerciale, d’une société civile, d’une entreprise publique, d’une association, d’une fondation, d’un syndicat ou d’un organisme professionnel et ayant pour activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire en entrant en contact avec un certain nombre de responsables publics.
Lobby, représentant d’intérêts : quelle origine ?
Le mot "lobby" signifie en anglais "hall d’entrée" ou "antichambre" ou encore "couloir". Au XIXe siècle, au Royaume-Uni, l’expression "the lobby of the House" désigne la salle des pas perdus de la Chambre des communes britannique, où les parlementaires s’entretenaient avec les représentants d’intérêts qui étaient ainsi surnommés "lobbyistes".
En français, le terme "lobbying" s’est imposé pour décrire cette activité, tandis que la désignation de l’individu qui la pratique se fait le plus souvent avec les mots "lobbyiste" ou "représentant d’intérêts". Cette traduction semble l’avoir emporté aujourd’hui, mais le chemin fut long. Avant cela, nous enseigne Guillaume Courty, dans "Le lobbying en France", il y eut les "démarcheurs politiques", les "antichambristes", les "agents d’intérêts économiques", les "émissaires dans les couloirs", les "agents parlementaires", les "marchands d’influence" ou encore les "diplomates d’entreprises".
"Nous sommes tous lobbyistes", résume ainsi Sylvain Maillard, député La République en marche de Paris. Mais cette vision est contestée par de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) et activistes, en particulier ceux actifs dans la lutte pour la protection de l’environnement.
On trouve parmi eux Delphine Batho. L’ancienne ministre redevenue députée des Deux-Sèvres (non inscrite) est désormais l’une des figures les plus actives parmi les opposants aux lobbies. "Je suis totalement opposée à cette définition anglo-saxonne où l’on met tout le monde sur le même plan, affirme-t-elle. Par exemple, quand Total interfère dans une décision publique, c’est par rapport à des conséquences financières pour ses propres profits ; et quand la Croix-Rouge intervient dans le débat public, c’est au nom d’une conception que la Croix-Rouge se fait de l’intérêt général. Donc il y a une finalité qui est très différente et il faut selon moi distinguer ceux qui interviennent dans les coulisses d’une décision parce qu’il y a des conséquences pour eux en termes d’intérêts financiers sonnants et trébuchants et ceux qui, comme tous les citoyens, tous les corps constitués, toutes les associations, peuvent donner leur point de vue sur un débat de société ou sur une décision publique au nom d’une conception qu’ils se font de l’intérêt général."
Intérêt général vs intérêts économiques
Intérêt général contre intérêts économiques. C’est sur cette dichotomie que se fonde le débat français et, par suite, l’image négative du lobbying en France. Ainsi, les ONG et autres défenseurs de causes qui vont, selon elles, dans le sens de l’intérêt général ne disent pas qu’elles font du lobbying, mais du "plaidoyer" – le lobbying étant toujours dans leur esprit la défense d’intérêts privés.
"Dans une démocratie, celui qui est chargé de définir l’intérêt général, c’est le politique, répond Fabrice Alexandre, directeur associé du cabinet de lobbying Communication et Institutions et président de l’Association française des conseils en lobbying (AFCL). Et puis ce n’est pas parce que vous défendez un intérêt qui n’est pas économique que vous défendez l’intérêt général. Les associations de lutte contre l’IVG par exemple, peut-on dire qu’elles défendent l’intérêt général ? Pas forcément. Pour autant, elles ne défendent pas un intérêt économique. Donc les choses sont un peu plus complexes que ça."
Comme le souligne le chercheur Guillaume Courty, il est très rare de trouver un secteur qui n’ait pas la nécessité d’interagir avec les pouvoirs publics. "On ne peut pas se passer d’intermédiaires qui essaient de négocier avec les pouvoirs publics, dit-il. Peu importe la façon dont on les appelle et s’ils représentent des intérêts économiques ou la défense de l’environnement, cette strate de personnels qui met un peu d’huile entre le système politique et la société est indispensable. Par ailleurs, on observe qu’entre les lobbies d’intérêts privés ou ceux des ONG, les pratiques sont assez comparables."
Une vision partagée par Transparency International, ONG de lutte contre la corruption loin d’être à la botte des puissants lobbies financiers. "Beaucoup d’acteurs essaient d’influencer la décision publique. Quand une loi est votée, quand un décret est adopté, quand n’importe quelle décision est prise, elle va avoir un impact sur un certain nombre d’acteurs, qui vont donner leur avis, fournir des argumentaires aux décideurs publics. Le lobbying fait donc partie du processus de décision publique et n’est pas condamnable en soi. Toute la question est de savoir comment on le régule pour éviter que le lobbying ne soit source de conflits d’intérêts, voire, dans les cas les plus graves, de corruption", analyse Elsa Foucraut, représentante de Transparency International France et par ailleurs "responsable du plaidoyer" de l’ONG comme le stipule sa carte de visite.
Création du répertoire des représentants d’intérêt
Pour rendre plus transparentes les activités des lobbyistes, la loi "sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique" de 2016, dite loi Sapin 2, complète la loi de 2013. Elle crée notamment un répertoire géré par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) dans lequel doivent s’inscrire les représentants d’intérêts cherchant à "influer sur une ou plusieurs décisions publiques, notamment une ou plusieurs mesures législatives ou réglementaires". Ceux-ci doivent également fournir des informations sur les moyens mis en place et les actions menées (entrevues, invitations à des événements, pétitions, etc.).
"Les lobbyistes qui représentent des intérêts particuliers sont à la fois indispensables et dangereux. Donc il faut essayer d’en tirer le meilleur – le dialogue avec des gens qui connaissent les sujets – en évitant le mauvais – le risque ou parfois le soupçon d’une influence qui serait au nom d’un intérêt privé sur une décision qui doit être d’intérêt général, explique Michel Sapin, à l’origine de la loi de 2016. Ce qui est dangereux, c’est quand les choses se font de façon souterraine, cachée. Le dialogue est nécessaire, mais l’obscurité doit être combattue."
Si les pro-lobbying comme les anti s’accordent à dire que la loi Sapin 2 a permis une première avancée dans cette lutte contre "l’obscurité", de nombreuses voix critiquent toutefois ses manquements et notent que son décret d’application, publié en mai 2017, est bien en-deçà des objectifs fixés par la loi.
La HATVP elle-même, dans son rapport d’activité 2017, souligne que le décret publié "affaiblit les intentions du législateur" et évoque des "exigences extrêmement réduites".
Pour le chercheur Guillaume Courty, la loi Sapin 2 a toutefois été "comme un voile qui se déchirait au-dessus des secrets de fabrique de la loi". "On a pu prononcer le mot lobbying, on a pu en discuter à l’intérieur du Parlement, on a pu lister les intervenants. En cela c’est déjà une énorme avancée car jusque-là le sujet était médiatique, il était polémique, mais il n’était pas politique, poursuit-il. Maintenant, si on prend l’exemple de l’évolution du registre des lobbyistes américains depuis 60 ans, on peut considérer que le registre français devrait lui aussi logiquement aller vers encore plus de transparence."