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Julie* a toujours su qu'elle voulait un enfant. Mais à 15 ans, la Parisienne aux cheveux ébène a dû se rendre à l'évidence, ce rêve de petite fille serait difficile à concrétiser. Julie est lesbienne. Et en France, il est interdit aux femmes célibataires et aux couples homosexuels d'avoir recours à la procréation médicalement assistée (PMA).

"J'ai toujours su que j'avais une différence sexuelle, lâche Julie sans détour. Du coup, assez jeune, j'ai compris que la question pour moi ne serait pas de savoir quand j'allais avoir des enfants, mais plutôt si un jour, ce serait possible". À demi-mot, elle avoue avoir passé de nombreuses nuits blanches à se demander si elle devait sacrifier son orientation sexuelle pour privilégier ce désir d'enfant. "Un temps, je me suis même dit que j'allais devenir hétéro pour me trouver un mari. Cela aurait été tellement plus facile, glisse-t-elle en relevant ses lunettes, dévoilant ses yeux en amande. Mais j'ai fini par me dire que je ne pouvais pas mettre ma vie entre parenthèses".

Le couple a navigué un mois et demi sur Internet avant de trouver un donneur.
"On trouve des profils
beaucoup moins sérieux que d'autres"
Julie

À l'aube de ses 30 ans, l'envie d'un bébé était plus que jamais ancrée. "La question était alors de savoir comment le faire", se souvient-elle. En couple avec Marie depuis deux ans, Julie s'est décidée à réaliser une insémination artisanale grâce à un donneur de sperme. Une démarche totalement interdite en France.

Pour trouver des repères sur ce chemin, la jeune femme s'est tournée vers Internet. Elle a tapé quelques mots du type "donneur", "sperme" et "couple lesbien" dans le moteur de recherche et, en l'espace de quelques minutes, elle a trouvé ce qu'elle voulait : un site pour être mise en relation avec de potentiels géniteurs. Créé en 2008, Co-Parents.fr fonctionne comme un site de petites annonces pour des couples hétéros et homos, mais aussi des célibataires qui cherchent à faire un enfant. On y trouve des profils variés : "souhaite fonder une famille en coparentalité", "cherche un don de sperme sans copa [sans coparentalité, pour les initiés]", ou encore "recherche mère porteuse". Puis, d'autres indiquent "offre don de sperme".

Il est très facile de s'inscrire, il suffit de renseigner un nom, un âge, optionnellement une photo et une brève description du donneur idéal. Julie et Marie ont navigué un mois et demi sur le site avant de dénicher la perle rare pour leur projet familial. "On y trouve toutes sortes de candidats, certains beaucoup moins sérieux que d'autres", convient-elle. "Nous avons échangé avec quatre garçons". Rapidement, deux d'entre deux ont été évincés. "Ils voulaient une insémination naturelle, c'est-à-dire avec des rapports sexuels. C'était évidemment hors de question pour nous", tranche-t-elle.

"Je n'avais pas envie de me retrouver sans réponse le jour où mon enfant m'interrogerait sur ses origines", confie Julie.

Malgré ces profils douteux, Julie et Marie n'ont jamais envisagé la PMA à l'étranger, une solution tout aussi interdite mais plus sécurisante malgré tout. En Espagne, en Belgique ou encore au Danemark, les inséminations sont légales et encadrées dans des cliniques spécialisées pour les femmes hétéros mais aussi lesbiennes et célibataires. Les dons sont anonymes en Espagne, mais la Belgique et le Danemark offrent la possibilité à l'enfant âgé de 18 ans d'avoir accès à des informations sur le donneur, si celui-ci y a consenti au moment du don.

Pour Julie, il était inenvisageable d'avoir recours à un donneur anonyme. "Je n'avais pas envie de me retrouver sans réponse le jour où mon enfant m'interrogerait sur ses origines", lâche-t-elle. Sans oublier les coûts élevés liés au traitement à l'étranger. "Vous avez besoin de beaucoup d'argent car vous devez payer le voyage, l'hôtel, la nourriture, le sperme et le traitement… ", énumère-t-elle.

"Nous devions juste lui faire confiance"
Julie

En quelques semaines et après plusieurs heures de discussions en ligne avec des candidats, le couple a fini par trouver un donneur sur le site en question. Leur choix s'est porté sur un candidat disposé à offrir sa semence sans la moindre condition. "En fait, cela s'est vraiment fait au feeling avec Matthieu*", explique-t-elle. L'homme, qui a déjà procédé à plusieurs dons par le passé, a accepté que son identité soit révélée à l'enfant. Il s'est aussi dit prêt à le rencontrer, et à donner ses antécédents médicaux en cas de besoin.

Deux semaines après, une rencontre entre six yeux a eu lieu dans un café, confortant le choix du couple. Quinze jours après, en période d'ovulation, Julie a envoyé un SMS à Matthieu, qui a accepté de passer le soir même dans leur appartement. Elle se souvient avoir été un peu nerveuse à l'idée de faire venir un inconnu dans leur cocon. Mais elle n'avait pas le choix : "Nous devions juste lui faire confiance", admet-elle.

Kevin* au parc avec "mama et maman".
"J'ai injecté le sperme à l'aide d'une pipette"
Julie

Matthieu a tenu parole. "Il a fait ce qu'il devait faire dans une petite tasse dans la salle de bains et ensuite, il me l'a apporté dans la chambre". Julie a alors "injecté le sperme à l'aide d'une pipette", du type de celles utilisées pour les médicaments.

La première tentative a été un échec. Il a fallu attendre le quatrième essai – toujours avec Matthieu – pour que Julie tombe enceinte. Lors de leurs inséminations artisanales, il lui est parfois arrivé de se retrouver seule avec lui dans l'appartement parce que Marie travaillait. "Au début, je n'étais pas très rassurée, mais c'est vite passé", avoue-t-elle. Tout au long de leur démarche, elles n'ont pris aucune garantie auprès du géniteur, excepté pour les tests sanguins mis à jour pour éviter des maladies sexuellement transmissibles. "Je suppose que notre désir de devenir mamans était si important que nous avons inconsciemment occulté certains risques", se défend-elle. Pour l'instant, seule Julie figure sur le livret de famille de l'enfant. Les deux femmes doivent d'abord se marier avant que Marie puisse lancer la procédure d'adoption.

Avec le recul, le couple avoue avoir été très chanceux. Aujourd'hui, Julie et Marie ont un fils de six ans et demi, Kevin*, plein de vie. Pour l'heure, il n'a posé aucune questions sur ses origines. "Je pense que cela va venir en grandissant", songe Julie, qui a déjà prévu d'inviter le géniteur chez eux d'ici la fin de l'année. Venu se glisser entre "maman et mama", le petit Kevin les enlace dans ses bras. "Pour lui, notre famille n'a rien d'étrange."

*Le prénom a été changé