Il n'y a pas
de paradis

La pointe de Djifer est un lieu enchanteur. Situé à l’extrême sud de la Petite-Côte, ce petit port de pêche battu par les vents donne accès aux îles du Saloum.

De Fadiouth à Djonewar, les hommes pêchent et les femmes ramassent les coquillages, comme cela se fait chez les Sérères depuis la nuit des temps.

C’est la région que Karim a choisie pour intervenir et sauver les mangroves. Avec une petite équipe de jeunes et de femmes, petit à petit, il replante les palétuviers qui permettront aux poissons de frayer et aux stocks de se reconstituer.

« On est sur une bombe à retardement, on ne sait pas quand cela va exploser. Mais si on laisse la nature opérer, les choses redeviendront normales », plaide Karim.

Comme on dit en wolof, « Lepou ngepe lou lenou guene », « Ce qui appartient à tout le monde, n’appartient à personne ! »

L’océan est un bien commun qui pourrait donner à tout le monde de quoi vivre, s’il était correctement géré par et entre les États. Sauf qu’ici, au contraire, la concurrence s’exacerbe et chacun veut sa part du gisement.

Le soir, nous prenons une bière au bar de l’hôtel où les Espagnols côtoient les « Sénégaulois ».

Pour la plupart, retraités de la marine de commerce ou de la pêche, ils commentent l’essor miraculeux de Joal, grâce au poisson venu de Gambie, de Guinée ou de Casamance.

C’est là que nous rencontrons « Cheikh », un des plus gros mareyeurs sénégalais de Joal, qui arbore fièrement une sardinelle en or autour du cou…

« Depuis l’arrivée des sociétés Omega Fishing ou Elim pêche, le commerce est plutôt fructueux, confie-t-il. Avec mon frère, nous sommes propriétaires de plusieurs pirogues. Grâce à elles, nous arrivons à fournir 50 caisses aux usines, payées rubis sur l’ongle ».

Karim Sall marchant dans la mangrove.

Bintou Sonko ramasse les huitres dans les mangroves du Sine Saloum. Comme de nombreux habitants, elle dépend de cet écosystème pour survivre.


Le port de Djifer est devenu un point de départ important pour rejoindre les eaux gambiennes et guinéennes. Mais l’avenir des plus jeunes s’écrit en pointillé.

Alphang Sarr prépare un nouveau filet de 800 m pour accroître ses chances de prise. Il vit péniblement de la pêche. « J’ai cette pirogue depuis 3 ans. Elle m’a coûté 3 millions de francs CFA (4 500 euros), le moteur 2, 2 millions (3 200 euros), le filet 1 million (1 500 euros), je n’arrive plus à rembourser ».


Après une journée en mer, la pirogue revient avec à peine de quoi nourrir l'équipage. Au cours des 30 dernières années, les stocks de poissons au Sénégal ont diminué de 80 %.

Jusqu’où ira cette fuite en avant ? Alfang Sarr est amer.

Originaires des îles du Saloum, les Nyominkas comme lui voient maintenant arriver massivement les Lebous, natifs de Saint-Louis, qui viennent de ce côté-ci car la pêche en Mauritanie est devenue très compliquée.

À Nouakchott, le gouvernement mauritanien veille désormais jalousement sur son trésor halieutique et les gardes-côtes tirent à vue : un pêcheur a été abattu fin janvier.

La pression sur la ressource est si forte qu’Alfang doit aujourd’hui aller jusqu’en Gambie, en Guinée-Bissau ou en Sierra Leone s’il veut trouver du poisson pour gagner sa vie. Et malheureusement, là-bas non plus, il n’y a pas de paradis…

« En Gambie, nous avons ramené trois caisses qui ont rapporté 20 400 francs CFA (31 euros). Pour partir à la pêche, il te faut 50 000 francs CFA d’essence pour 100 litres. Je n’ai pas atteint le revenu dont j’ai besoin. Nous sommes 30 dans ma famille ».

Désespéré, le frère d’Alfang a décidé de rejoindre le Maroc avec l’espoir d’atteindre l’Espagne. « Il est parti sans me prévenir, alors que j’avais créé un emploi pour lui pour qu’il reste travailler avec moi. Aujourd’hui, je suis sans nouvelles de lui ».

Près de Dakar, la situation est encore plus critique qu’à Joal et à Djifer. Dans la baie de Hann, jonchée de détritus, autrefois l’une des plus belles du Sénégal, les jeunes vivent dans l’attente du départ, passant leur journée sur la plage assis sur les filets.

« Les jeunes vont partir, pareil pour moi, on va tous partir parce qu’on ne trouve plus de poisson, explique Yorou Sow. C’est pour cela que les jeunes sont obligés d’immigrer clandestinement. L’année dernière, un ami est décédé en Libye, il s’appelait Mahada ».

Depuis 2006, plus de 2 000 personnes sont parties de cet endroit nommé Yarakh. Au total, 650 sont mortes et 18 sont portées disparues...

La vague à l’âme, les pêcheurs sénégalais sont devenus des réfugiés écologiques. Après l’Afrique, ils s’aventurent aujourd’hui partout en Europe, de l’Espagne à l’Italie en passant par Lorient, là où il reste encore du poisson. Prêts à lutter et à braver les éléments.