Lorient
et l'occident...

Souleymane n’est pas le seul à avoir quitté le Sénégal.

À mille lieues de chez lui, en mer d’Écosse, Bara Dieng remonte les lourds filets gorgés de poissons sur les chalutiers de la Scapêche. Un monde industriel équipé de sonars dernier cri, bien différent des pirogues sur lesquelles il naviguait…

« J’ai commencé à pêcher à l’âge de 12 ans. Je voyageais jusqu’en Côte d’Ivoire, en traversant cinq pays, juste en regardant les étoiles pendant la nuit. Au Sénégal, je n’arrivais pas à vivre de ma pêche... Alors j’ai pris une pirogue en Mauritanie pour atteindre les Canaries avec mon cousin Omar, puis j’ai travaillé dans la pêche espagnole, et maintenant dans le Morbihan ».

Aujourd’hui, il partage son appartement avec son oncle Adama et son cousin Omar, tous pêcheurs. « La France est devenue mon deuxième pays, celui où je travaille, celui aussi où je suis venu chercher une vie meilleure et tenter d’améliorer le sort des miens », confie ce quadragénaire.

À terre, quand il ne travaille pas, Bara occupe son temps à regarder la télévision, recevoir ses amis ou dormir avant un prochain embarquement.

« Quand tu es parti en mer, tu n’as pas beaucoup de temps pour te reposer parce que tu travailles tout le temps ! Des fois on peut rester deux mois sans se voir, parce qu’on ne travaille pas sur le même bateau ».

À cause de ce rythme de travail, les Sénégalais forment une communauté d’invisibles à Lorient. Pour les rencontrer, il faut fréquenter l’Orient Exotic, une petite épicerie de la rue de Verdun pleine de couleurs et de produits africains...

Sur le palier de l’appartement de Bara Dieng, l’équipement est toujours prêt pour un prochain départ.

« C’est un travail physique, quand tu prends les bacs de 40 à 50 kg, t’as pas le temps de demander de l’aide, tu étripes le poisson. Chacun doit assurer à son poste jour et nuit, c’est l’usine ».


Bara fait sa prière dans son appartement lorsque les cloches de la ville sonnent les vêpres. D’obédience mouride, une communauté musulmane très présente au Sénégal, il est originaire de Joal-Faditouh, comme la plupart des pêcheurs sénégalais.


Le temps libre des pêcheurs est consacré à dormir, recevoir des amis, remplir les papiers administratifs ou aller faire des courses. Raison pour laquelle ils sont peu visibles à Lorient.

Amadou et Bara se connaissent depuis l’Espagne. « J’ai travaillé sur les bateaux-usines à Vigo, on faisait deux mois en mer, vers l’Irlande ou le Canada. Je suis arrivé à Lorient en même temps que Bara, après la crise de 2008. Nous sommes des migrateurs, si ça ne va pas ici, un jour on partira aussi », témoigne Amadou.


Sur le quai du port, Alain le Sann a vu ces petites mains de la pêche arriver en Bretagne ces dix dernières années. Il a une explication à leur arrivée massive.

« La crise qui a eu lieu en Espagne en 2008 a poussé nombre d’entre eux à quitter les ports de Galice, des Asturies ou du Pays basque pour se rendre en Bretagne. Et s’ils sont partis de chez eux, c’est pour fuir le déclin de la pêche artisanale au Sénégal », analyse le président du Collectif pêche et développement.

À la Direction des affaires maritimes, Valérie Le Bartz reçoit les pêcheurs sénégalais. Sur les dix dernières années, elle constate elle aussi que leur nombre est en constante augmentation.

« À Lorient, Saint-Brieuc, Roscoff, Le Guilvinec, Paimpol, Saint-Malo ou Brest, 500 pêcheurs sénégalais travaillent ainsi d’un port à l’autre pour pallier le manque de main d’œuvre, nous précise Valérie. Et je ne compte pas ceux de Saint-Vaast, Cherbourg, Trouville, Boulogne-sur-Mer ou Les Sables-d’Olonne ! ».

À chaque fois, des membres de leurs familles, frères ou cousins, essaient de les rejoindre. Comme le ferait une assistante sociale, Valérie les aide à remplir les dossiers administratifs qui leur permettront de travailler dans la pêche bretonne.

« S’ils me parlent de leurs difficultés à s’installer en France et à travailler sur les bateaux, confie-t-elle, jamais ils ne me racontent les raisons pour lesquelles ils quittent leur pays ».