FacebookTwitter
découvrir

Cinquante-cinq ans après la création de l'atelier de Lodève, peu d'enfants ou de petits-enfants de harkis ont pris la relève. Seuls quatre descendants, trois femmes et un homme, y travaillent encore. En cause, le mode de recrutement, devenu beaucoup plus sélectif. Désormais, pour devenir licier et espérer un poste à Lodève, il faut être admis à un concours de la fonction publique de catégorie A. Le nombre d'admis varie chaque année, mais rares sont les élus. L'enseignement se fait ensuite pendant quatre ans à Paris.

La manufacture créée pour intégrer les femmes et filles de rapatriés d'Algérie, "l'usine", comme elles l’appelaient, est devenue une institution participant au rayonnement de la France. Une page s'est tournée. Un changement qu'elles peinent parfois à comprendre et qu'elles vivent comme une injustice. Mais leur aura est toujours là.

Mebarka Noureddine, fille de harki, a choisi de suivre les traces de sa mère. Après avoir réussi le concours avec brio, la licière a travaillé pendant 23 ans à Paris. Aujourd'hui, c'est à Lodève qu'elle continue de tisser l'histoire.



Arrivée à Lodève après avoir longtemps travaillé à Paris, elle a côtoyé la première et la seconde génération de licières algériennes. Elle évoque un "grand plaisir" à avoir travaillé avec elles et, surtout, échangé sur les techniques.



Le technicien d'art est passionné par son métier. Ce savoir-faire, des tapis de Savonnerie, "transmis à l'oral", que "l'on n'apprend pas dans les manuels", est identique depuis 400 ans. Il redoute que cette technique unique qui permet aux tapis de "traverser les âges" ne se perde, car très peu de liciers sont formés aujourd'hui. À Lodève, ils ne sont plus que 13, contre 50 il y a quelques années.



Un métier de haute lice dans la Savonnerie de Lodève. © Assiya Hamza
La laine, ici naturelle, provient d'Australie ou de Nouvelle-Zélande. © Assiya Hamza
Des broches de haute lice naturelles. © Assiya Hamza
Des broches de haute lice de couleur. © Assiya Hamza
Ces pompons sont réalisés à partir de colorants synthétiques. Le nuancier de Chevreul créé en 1838, aujourd'hui numérisé, compte 20 000 coloris. © Assiya Hamza
Règle, peigne à tasser et aiguille font partie des outils des liciers. © Assiya Hamza
Vue de métiers dans l'atelier de Lodève. © Assiya Hamza
Marie-Hélène Blanchard procède à la tonte finale. Elle s'appuie sur une planchette de bois pour obtenir un velours d'une épaisseur régulière. © Assiya Hamza


Palais de l’Élysée, château de Versailles, Sénat, ambassades… les licières de Lodève ont habillé les sols des plus hauts lieux de la République. La manufacture a été le fil d'Ariane de ces dizaines de femmes, épouses ou filles de harkis, pour s'intégrer en France, un pays qui leur était totalement inconnu.

Des baraquements militaires et de la cité de la gare où leurs familles étaient logées, il ne reste désormais presque plus rien. Peu d'entre elles sont encore en vie pour raconter l'époque bénie où "elles avaient du travail" et que "l'usine" était "leur" Algérie. Les rires, les chants malgré l’exil et toujours ce dévouement à tisser des tapis de plus en plus exceptionnels.

Aujourd'hui, quelques voix s’élèvent pour dénoncer un manque de reconnaissance de l'État et militent pour qu’un hommage leur soit rendu. "Les harkis ont contribué à la construction de la France", rappelle Malika Chaoua, présidente de l’association ‘Générations harkis - devoir de mémoire’, créée en 1989. "Les pères ont travaillé à l'ONF et certaines femmes à la manufacture de Lodève. On est en pourparlers pour faire un livre sur la mémoire de ces licières. Nous voulons leur rendre un hommage juste, notamment à leur savoir-faire ramené d'Algérie. C'est une richesse."

Si leurs noms s'effacent, leur empreinte, elle, au sein de la prestigieuse collection du Mobilier national, restera à jamais gravée dans l'histoire de France.