Ces manifestations populaires, réprimées avec violence par la police anti-émeute, dégénèrent finalement en scènes de guérilla. Cet esprit contestataire a continué de s’exprimer à travers des slogans anti-mondialisation, et même anti-Coupe du monde de football que le Brésil a accueilli en 2014 ! Les milliards de Reais dépensés dans des stades de foot gigantesques révoltèrent jusqu’aux plus enthousiastes supporters de l’équipe du Brésil.
La faiblesse de l'investissement public dans les secteurs de la santé, de l’éducation, du logement, les expulsions des plus pauvres du centre-ville ont fini par cristalliser les mécontentements d’une population de plus en plus consciente des inégalités de la société brésilienne. L’augmentation du prix des transports en commun déclenche le début de la révolte. La contestation gagne même les classes moyennes de Rio qui, après avoir bénéficié de l’effet BRIC (acronyme désignant les pays émergents à forte croissance au début des années 2000, dont le Brésil, ndlr) durant une décennie, sont aussi touchées par la crise économique mondiale. L’inflation des denrées alimentaires au Brésil approche désormais les 13%.
Dans ces longs cortèges revendicatifs, aux accents parfois carnavalesques, deux personnages se font remarquer : Batman et Pobre Batman, un prothésiste dentaire fan de comics et un ancien millionnaire devenu artiste performeur. Tous deux ont troqué leurs habits pour le costume du super héros.
Rio c’est un peu comme Gotham city, une ville minée par la corruption et la violence… Le Brésil, ce n’est pas que le foot et la samba
Comme leurs aînés du mouvement tropicaliste (mouvement culturel d'avant-garde de la fin des années 1960, ndlr), des artistes s’engagent dans cette contestation via un militantisme poétique et surréaliste.
C’est le cas du collectif Vô Pixá Pelada qui a d’abord détourné les slogans politiques des partis traditionnels au moyen d’autocollants subversifs, avant de créer le « Happy manifesto meal », un kit à l’attention des manifestants. Il comprend un foulard « arty » destiné à se protéger des gaz de la police anti-émeutes.
Gabriel Bernardo, l’un des fondateurs du collectif, rencontré lors d’une occupation artistique à l’Hotel da Loucura, dans la banlieue nord nous explique son engagement :
Le collectif est né de l’idée de collectivité, le tout lié à une dose d’insatisfaction et d’envies révolutionnaires. Nous voulons d’une certaine manière contribuer à penser la ville.
Ce collectif participe à des occupations artistiques de rue avec un seul mot d’ordre, « rendre l’art accessible à tous ».
Nous les rencontrons à la Gentil Carioca, une galerie créée entre autres par Ernesto Neto, et devenue un poids lourd de la scène artistique dans le quartier populaire de Tiradentes.
Pour dénoncer les violences policières, le collectif a distribué des paréos aux jeux de mots humoristiques sur la plage d’Ipanema. Il y était par exemple écrit « Xo Choque » en référence au bataillon de Choque (équivalent des CRS ici) qui réprimaient les manifestants, ou « assassinat de crevette », clin d’œil aux paroles d’une samba brésilienne. Un mode de contestation pacifique mêlant art de la dérision et du compromis.
Notre politique dans toutes nos actions, c’est toujours celle du plaisir, d’être ensemble, de faire la fête, de la joie, parce que c’est très révolutionnaire en fait. …
Ces manifestations ont également fait émerger un mouvement de journalistes citoyens.
Armés de leur smartphone, ces derniers communiquent une information alternative sur les évènements. Sous le nom de « Mídias Ninjas », ils incarnent un véritable contre-pouvoir face aux grands groupes de médias, tel que la Globo.
D’autres voix se sont fait entendre, celles des radios communautaires de la zone Nord.
L’une d’elles, Rádio Bicuda, émet avec une liberté de ton inhabituelle le long d’un boulevard de la périphérie de Rio. Non loin de là, dans le morro de Juramento six jeunes sont morts en représailles après l’assassinat d’une policière des UPP à Vila Cruzeiro.
Nous passons une grille sécurisée avant de pénétrer dans le petit studio d’enregistrement, la violence est très présente dans cette zone encore tenue encore par les trafiquants.
Carlos Osório y anime chaque jour une émission qui mêle actualité et musique brésilienne. Pour nous, il évoque le traitement partial par la Globo et d’autres médias des évènements politiques, des inégalités sociales et de la politique de pacification.
Je suis diplomé en démocratie participative de l’Université du Minais Gerais. Grâce à mon expérience personnelle des mouvements, je tente de défaire l’image donnée par les grands médias. Par exemple, pour les manifestations de juin dernier (2015, ndlr), je rappelle à tous les auditeurs l’importance de ces mouvements. Qu’il ne s’agit pas de casseurs, de bandits. Il s’agit de personnes avec une conscience sociale qui sont descendues dans la rue.
À la station de métro « Carioca », une foule bigarrée s’est rassemblée pour défendre les artistes du métro qui se font chasser par les vigiles. C’est le rassemblement du collectif AME (Collectif des artistes du métro) qui entend dénoncer les mesures répressives d’un projet de loi à l’encontre des artistes de rue.
Nous ne nous battons pas pour la reconnaissance de la culture, mais pour la reconnaissance de l’Artiste… On dit que nos artistes sont naïfs, que leur art est artisanal, que ce sont des artistes de rue. Il n’y a pas de reconnaissance de la production artistique des habitants des favelas.
Sur d’autres trottoirs, à deux pas du Théâtre Municipal, le mouvement du Sarau Apafunk, se bat pour la défense du funk carioca, à l’heure où les Bailes Funk, assimilées à des repères de bandits, sont interdites dans les favelas pacifiées.
Tous les deuxièmes jeudi du mois, l’association installe sa sono à Cinelândia, en plein centre de Rio, face à l’immeuble Manuel Congo occupé par les sans-toits. Chacun vient exprimer dans le micro son indignation, sa révolte, ses réflexions sur la société libérale et la politique de pacification menée par le gouvernement. Mano Teko, son instigateur, explique sa démarche.
Nous nous battons pour la révocation de la résolution 013 (loi du gouverneur de Rio) qui empêche la danse funk et d’autres manifestations culturelles dans les favelas…
Les Sarau artistiques, sorte de soirées poésie, où chacun peut participer et s’exprimer, sont devenues à la mode à Rio. Ces espaces de liberté qui favorisent de multiples modes d’expression et de contestation ont lieu dans les rues même de Rio de Janeiro.
Ce samedi, derrière les célèbres arches du quartier de Lapa, a lieu un sarau d’écrivains, de poètes, de musiciens, de comédiens et de travestis… Tous sont là pour partager leur aspiration pour une société plus égalitaire. L'esprit bohème carioca est bien là.
Ronald Duarte intervient d'une toute autre manière sur l’espace public. Il dénonce les dérives d’un système avec sa dernière performance « Boiada » (bétail), un long défilé de têtes de bœufs symbolisant la condition humaine.
Ce défilé de têtes de bœufs a relié deux points de la ville en passant par une favela près d’ici, au milieu des trafiquants, des jeunes qui travaillent… L’intervention de la police doit être pacifique, il doit exister un dialogue intelligent, de vie et pas de mort, un dialogue conscient. Ces trafiquants sont aussi des victimes, ils vont se faire tuer par cette police qui n’a qu’un objectif : tirer sur tout ce qui bouge… Je n’ai rien contre la police en tant que personne mais j’en ai après le système auquel elle se soumet. Ce système obsolète qui ne fonctionne plus, qui est complètement corrompu. Il faut le repenser, il ne marche plus. C’est de cela dont parle mon travail.