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Le 17 avril 2016, les députés brésiliens exultent : ils ont enclenché le processus de destitution de la présidente Dilma Rousseff. © AFP

Au Brésil, à Cuba, et en Colombie, l’année 2016 restera dans les annales. La destitution de la présidente du géant économique sud-américain, la mort du Lider Maximo, et la fin de la plus ancienne guerre civile du continent ont marqué l’année.

À Cuba, l’adieu au passé



Cinquante-huit ans après l’entrée des "barbudos" de Fidel Castro à La Havane, 2016 marque la fin d’une époque à Cuba.

Le 21 mars, Barack Obama foule le sol cubain. C’est la première visite d’un président américain en exercice depuis Calvin Coolidge en 1928. Le 25 novembre, Fidel Castro s’éteint. Héros pour certains, ennemi suprême pour d’autres, avec lui disparait un pan de l’histoire du XXe siècle. La visite du président américain et la disparition du Lider Maximo vont-elles accélerer l’ouverture économique et politique dans l’île ? La réponse à cette question passe vraisemblablement par le sort réservé à l’embargo économique qui frappe Cuba depuis 1962. Sera-t-il maintenu ou levé en 2017 ? La décision revient en dernier ressort au Congrès des États-Unis dominé par des républicains plutôt favorables à la prolongation de l’embargo.



Colombie, la paix ?

Colombe de la paix et chemises blanches pour une poignée de main historique entre le président Colombien, Santos, et Timochenko, le chef de la guérilla des Farc. © AFP


Le 26 septembre, la plus ancienne guerre civile d’Amérique du Sud prend officiellement fin. Le rêve de paix est devenu réalité. Tout de blanc vêtus, sous les regards de Ban Ki-moon, de Raul Castro, de John Kerry et 2 500 invités étrangers, les représentants du gouvernement colombien et des Forces armées révolutionnaires de Colombie signent à Carthagène un accord de paix de 297 pages. Juan Manuel Santos et Rodrigo Londoño (plus connu sous ses noms de guerre Timoleón Jiménez ou Timochenko) sont tout sourires. Après quatre années d’âpres et intenses négociations à La Havane, les deux dirigeants doivent avoir le sentiment qu’ils sont arrivés au bout d’un long chemin.


Insurrection paysanne et marxiste à ses débuts, les Farc veulent désormais rendre les armes et devenir un parti politique. © AFP

Mais le 4 octobre, alors que le cessez-le-feu est en vigueur et que les 7 500 guérilleros des Farc s’apprêtent à remettre leurs armes (qui doivent servir à la construction de monuments commémoratifs), les Colombiens expriment par référendum un "non" retentissant à l’accord de paix, par 50,21 % des voix. L’écart n’est que de 60 000 voix sur 13 millions de bulletins de vote. Le rêve baigné par le soleil couchant de la cité caribéenne va-t-il connaître le même sort que les défunts accords d’Oslo, un accord de paix durement négocié mais rejeté par les belligérants ? Les harangues d’Alvaro Uribe, l’ex-président et faucon en chef de la vie politique colombienne, ont porté leurs fruits. Les Colombiens ne veulent pas voir les ex-guérilleros devenir une force politique classique et qu’ils puissent être réintégrés dans la société civile grâce à des conditions judiciaires favorables.

Le 7 octobre, quelques jours à peine après sa défaite au référendum, le président Juan Manuel Santos reçoit le prix Nobel de la paix. Forts de l’appui de la communauté internationale, Farc et gouvernement se retrouvent à La Havane pour de nouvelles négociations. Une semaine plus tard, ils parviennent à signer un nouvel accord au prix de nouvelles concessions des Farc. Cinquante-six propositions sur 57 sont remaniées. Le volet politique est maintenu : les guérilleros pourront entrer au gouvernement, mais leurs biens seront confisqués. Le 30 novembre, le Congrès ratifie à l’unanimité des élus présents le nouvel accord de paix et le processus peut enfin démarrer, les Farc ont 6 mois pour rendre leurs armes. Quelques jours plus tôt, Juan Manuel Santos et Timochenko avaient paraphé le nouvel accord, en costume, dans la pénombre du Teatro Colon de Bogota. Finies les chemises blanches et la lumière du couchant, 2017 s’annonce comme l’année de tous les dangers pour le processus de paix.


Signature de l’accord de paix revu et corrigé sur un mode plus sobre, au Teatro Colón de Bogotá, le 24 novembre 2016. © AFP

Après 52 ans de conflit armé, la page sera difficile à tourner. En 2016, une soixantaine de militants appartenant souvent à des organisations paysannes ont été assassinées. Les soupçons pèsent sur les paramilitaires d’extrême droite qui ont fait régner la terreur dans les campagnes colombiennes pendant des décennies. De plus, d’autres guérillas sont encore actives dans le pays.



Brésil, l’implosion du système politique

Quelques jours après la présidente Dilma Rousseff, c’est au tour du président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha, d’être destitué. © AFP


Au Brésil, 2016 restera dans la mémoire collective comme une longue descente aux enfers de la classe politique marquée par la destitution de Dilma Rousseff.


Pour la gauche brésilienne, la destitution de Dilma Rousseff est un coup de force parlementaire, voire un coup d’Etat. © AFP

Dimanche 17 avril, les matches de football sont annulés, le pays est suspendu au vote des 513 députés qui, au terme d’une séance hystérique, entre insultes, crachats et invocation de la miséricorde divine, disent "oui" à "l’impeachment" de la présidente à la majorité des deux tiers. Quatre mois plus tard, après plusieurs votes au Sénat, Dilma Rousseff est définitivement destituée. Isolée, affaiblie par deux ans de récession économique et par l’opération "Lava Jato" (Lavage express) qui a démoli l’image de son parti, le Parti des travailleurs (PT), la présidente quitte le palais du Planalto, entourée de femmes, le 12 mai 2016.


Michel Temer, 76 ans, devient Président de la République brésilienne le 31 aout 2016, mettant fin à 13 ans de gouvernement du Parti des travailleurs. © AFP

Quelques heures plus tard, le vice-président Michel Temer s’installe dans le fauteuil présidentiel et présente au pays un gouvernement entièrement masculin et orienté très à droite. Le choc est brutal. Les débuts de sa présidence sont marqués par une suite de scandales retentissants. En sept mois, six ministres ont dû démissionner en raison de leur implication dans diverses affaires de corruption. L’un d’eux, Romero Juca, admet dans des enregistrements rendus publics que le nouveau gouvernement fera tout son possible pour mettre un terme à l’action des juges de l’opération "Lava Jato" ; celle-ci impliquant un nombre important de membres du parti du président Temer (le PMDB). Et pourtant, l’institution judiciaire fait rouler les têtes au sommet de l’État. Le 7 juillet, le principal accusateur de Dilma Rousseff, Eduardo Cunha (PMDB), président de la Chambre des députés, est déchu de son mandat. Accusé de détournement de fonds publics et blanchiment d’argent, il est incarcéré depuis le 19 octobre.

Son collègue du Sénat, Renan Calheiros (PMDB), deuxième personnage de l’État, impliqué dans 19 procédures judiciaires a été démis de ses fonctions le 5 décembre par la Cour suprême avant qu’elle ne revienne sur sa décision deux jours plus tard.

Du côté du Parti des travailleurs, les juges ont aussi entrepris de déboulonner l’ex-président Lula Da Silva de son piédestal. Formellement inculpé dans cinq affaires de trafic d’influence, dénoncé par le procureur de l’opération "Lava Jato" comme étant l’architecte de la corruption généralisée de la classe politique, l’ouvrier métallo devenu président de la République a du mal à se relever de ces accusations.


Au siège du Parti des Travailleurs, Lula exprime son émotion et sa colère après sa première convocation judiciaire. © AFP

Quant à Michel Temer, il est loin d’être assuré de finir son mandat. Soupçonné d’avoir personnellement touché des pots-de-vin, il pourrait être à son tour menacé "d’impeachment" en 2017.

Dans ce contexte de désintégration du système politique, deux acteurs ont tiré leur épingle du jeu lors des élections municipales d’octobre : le PSDB, le parti de la droite libérale, qui a fait élire son candidat à la mairie de Sao Paulo, et les évangélistes qui ont remporté la mairie de Rio de Janeiro.



Venezuela, crash économique et guerre de pouvoirs

Siège du Conseil national électoral à Caracas qui, en 2016, a permis à Nicolas Maduro d’échapper à un référendum révocatoire. © AFP


En 2016, l’opposition vénézuelienne réunie au sein de la MUD (Table pour l'unité démocratique), majoritaire à l’Assemblée nationale, s’est lancée dans une course de vitesse pour tenter de renverser Nicolas Maduro par le biais d’un référendum révocatoire avant la fin de l’année.

Au mois de septembre, après avoir franchi plusieurs étapes institutionnelles, il ne lui reste plus qu’à réunir quatre millions de signatures (20 % de l'électorat) pour enclencher la procédure.

Mais, fin octobre, le pouvoir judiciaire met un terme aux espoirs de l’opposition en refusant de reconnaître la validité des signatures recueillies. Le pays connaît à nouveau un moment de forte tension entre le camp chaviste et l’opposition qui sera finalement désamorcée par une médiation du Vatican et de l’Union des nations sud-américaines (Unasur).

Mais 2016 aura surtout été l’année du naufrage économique du Venezuela.


Une famille vénézuélienne reçoit un colis alimentaire devant un magasin d'État. © AFP

En février, le gouvernement augmente le prix de l’essence de 6 000 % alors que le Venezuela possède des réserves de brut comparables à celles de l’Arabie saoudite… Quelques mois plus tard, la crise énergétique oblige écoles et administrations à des fermetures partielles. La quasi-totalité des produits de base sont rationnés, les files d’attente devant des supermarchés aux rayons vides provoquent la panique dans la population. Nicolas Maduro, l’héritier d’Hugo Chavez disparu en 2013, ne veut pas dévier de sa ligne économique : la centralisation, sous contrôle militaire, de la production, de l’importation et la distribution d’aliments et de médicaments.

Pour faire face à la pénurie alimentaire, l’armée est sollicitée par le gouvernement pour gérer les entreprises nationalisées ou pour combattre "les spéculateurs aux ordres de l’étranger". Et pourtant la corruption, les pillages de commerces se multiplient, ce qui conduit le président à prolonger "l’état d’exception et d’urgence économique".

Le Fonds monétaire international prévoit une inflation de 475 % et une contraction du PIB de 10 % pour l’année 2016. En 2017, l’inflation pourrait atteindre 1 600 %.

Argentine, la rupture avec les années Kirchner

Août 2016 : manifestation dans les rues de Buenos Aires contre la hausse des tarifs du gaz de de l’électricité (jusqu’à 700 %). © AFP


En 2016, l’Argentine n’est pas non plus parvenue à rompre avec une inflation élevée (de l’ordre de 40 %) ni à relancer une économie en récession (- 3,5 %). Le choc économique libéral mis en œuvre par le président Mauricio Macri, élu il y a un peu plus d’un an, n’a pas réussi à inverser la tendance.

Dévaluation du peso, élimination des taxes à l’exportation des matières premières agricoles (qui avaient atteint 45 % à la fin de la présidence de Cristina Kirchner), licenciement de quelque 200 000 fonctionnaires, fin des restrictions sur les importations et retour de l’Argentine sur les marchés financiers internationaux (au prix d’un deal pas très avantageux avec les "fonds vautours" de New York) : rien n’y a fait. L’équipe de Mauricio Macri (composée en partie d’anciens cadres de multinationales) a tenu ses promesses en opérant une rupture radicale avec le modèle économique dirigiste et social des années Kirchner. Mais les syndicats sont dans la rue et les queues dans les soupes populaires ne cessent de s’allonger.

2016 aura aussi été l’année de l’étalage de scandales politico-judiciaires, éclaboussant les deux camps irréconciliables qui structurent la vie politique argentine : péronistes et anti-péronistes.


L’ex-ministre argentin José Lopez transféré en centre pénitentiaire après son arrestation rocambolesque. © AFP

En avril, la révélation par les Panama papers des comptes offshore détenus par Mauricio Macri a considérablement discrédité le président. En juin, l’arrestation en pleine nuit de l’ex-secrétaire d’État aux Travaux publics jetant des sacs d’argent par-dessus le mur d’enceinte d’un couvent de la province de Buenos Aires a coupé le souffle aux Argentins les plus blasés. Présent dans tous les gouvernements Kirchner entre 2003 et 2015, José López tentait de dissimuler huit millions de dollars en devises (des dollars, des euros, des yens et des rials qataris), des Rolex, des bijoux et une arme à feu de gros calibre.

L’affaire, digne d’un polar, succédait aux arrestations de Ricardo Jaime et Lazaro Baez, deux proches des époux Kirchner, pour corruption et blanchiment d’argent. Sans parler des citations en justice à répétition de l’ex-présidente elle-même. La mystique kirchneriste en a pris un sérieux coup.



Bolivie, premier revers électoral pour Evo Morales

Feuilles de coca autour du cou, Evo Morales est congratulé comme le veut la tradition lors de la campagne électorale pour sa réélection. © AFP


Survivant de la vague bolivarienne des années 2000, Evo Morales ne devrait pas pouvoir solliciter un quatrième mandat.

Le 22 février, un référendum visant à valider la proposition gouvernementale de modification de la Constitution afin de permettre au président d’effectuer trois mandats successifs, au lieu de deux, a été rejeté à 51 %. Sa première défaite lors d’un scrutin national en 10 ans.

Le premier président indigène de Bolivie a pourtant un bilan économique plutôt flatteur. Lors des trois mandats d’Evo Morales, la croissance a atteint un rythme de croisière proche des 6 %. La nationalisation des hydrocarbures et les concessions accordées aux groupes internationaux pour l’extraction des minerais a permis la création d’infrastructures publiques dans les domaines de la santé, de l’éducation ou des transports.

Les références au respect des peuples et des cultures autochtones, au "Vivir Bien" en harmonie avec la nature et la Terre Mère sont toujours le socle de son discours. Mais Evo Morales a peu à peu perdu des soutiens, notamment parmi les jeunes et les leaders indigènes, qui critiquent un discours en contradiction avec ses choix économiques favorables à l’exploitation des ressources naturelles.

L’ex-syndicaliste aymara a pourtant réaffirmé, début décembre, qu’il envisageait de se représenter en 2019, malgré les résultats du référendum.



Au Pérou, l’année du "Gringo"

À l’issue d’un débat télévisé, poignée de main entre les deux finalistes de l’élection présidentielle au Pérou, « PPK » et Keiko Fujimori. © AFP


Sur l’altiplano andin, de l’autre côté du lac Titicaca, l’élection présidentielle a porté au pouvoir Pedro Pablo Kuczynski au terme d’un duel très serré avec Keiko Fujimori. L’un est économiste, ayant fait ses gammes à Wall Street ; l’autre est la fille de l’ex-président péruvien Alberto Fujimori, emprisonné depuis 2009 pour corruption et crimes contre l’humanité. Keiko Fujimori fait partie des 100 000 descendants d’immigrants japonais pauvres arrivés au Pérou dans la première moitié du XXe siècle. Les enfants de ces premiers arrivants, travailleurs agricoles et petits commerçants, ont depuis intégré les classes moyennes et supérieures urbaines. Pedro Pablo Kuczynski, lui, est le fils d’un médecin juif allemand ayant fui le nazisme. Il est également le cousin germain du réalisateur Jean-Luc Godard. Banquier, il a vécu l’essentiel de sa vie en Royaume-Uni, aux États-Unis, en Afrique et parle l’espagnol avec un léger accent gringo… Au-delà de leurs divergences politiques, tous deux ont un parcours très symbolique de la diversité culturelle latino-américaine.



CONCLUSION

En 2016, le gong marquant la fin du "virage à gauche" de l’Amérique latine durant les années 2000 a sonné. L’arrivée au pouvoir d’une "nouvelle droite" en Argentine et au Brésil, les difficultés économiques du Venezuela, et plus symboliquement, la mort de Fidel Castro sont les signaux avant-coureurs d’une nouvelle ère sur un continent habitué aux coups de théâtre politiques, aux personnalités hors du commun, aux changements brutaux de cycles économiques, aux affrontements idéologiques, à la joie et à la révolte. Pourtant, souligne le politologue argentin Andres Malamud, "dans le monde actuel, c’est un luxe de vivre dans une région du monde négligeable mais démocratique, sans guerres entre pays. Peut-être que bientôt, elle sera une exception".

POUR ALLER PLUS LOIN

› Une biographie de Fidel Castro (webdoc)

› En images : 52 ans de guerre civile en Colombie (diaporama)

› Comprendre la bataille politico-judiciaire de la destitution de Dilma Rousseff

› Reporters - Venezuela, le crépuscule du chavisme (vidéo)

› Argentine, la Macri économie