Photo © Dominique Faget, AFP

La France pleure l’une de ses plus grandes figures politiques. Décédée le 30 juin 2017 à l’âge de 89 ans, Simone Veil était entrée dans le cœur des Français en se battant pour la légalisation de l'avortement, en 1975. Rescapée de la Shoah, ministre, présidente du Parlement européen, membre de l'Académie française, elle a marqué l'Histoire par ses convictions, sa personnalité et son destin exceptionnels.

Une "vie à construire"

  Entourée de l’écrivain Marek Halter et du président Jacques Chirac lors des cérémonies marquant le 60e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau, le 27 janvier 2005 © Patrick Kovaric


Rescapée de la Shoah, féministe engagée, femme politique populaire, européaniste convaincue, membre du Conseil constitutionnel, de l'Académie française... Simone Veil, qui s'est éteinte à l’âge de 89 ans ce 30 juin 2017, a profondément marqué la vie politique française. Femme de convictions et d'engagement, elle s'est construit une carrière dont la légitimité n'a jamais été contestée, ni en France ni à l'étranger.

Son histoire débute avec la grande Histoire. Le 30 mars 1944, Simone Veil, qui est alors Simone Jacob, fille d'un architecte juif français, est arrêtée par la Gestapo à Nice, avec sa famille. Après avoir transité par Drancy, elle est déportée avec sa mère et sa sœur Madeleine dans le camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau. "Le convoi s'est immobilisé en pleine nuit, raconte Simone Veil dans son autobiographie, ‘Une vie’. Nous avons été assaillis par les cris des SS et les aboiements des chiens. [...] On nous arrachait à l'horreur du voyage pour nous précipiter en plein cauchemar. Nous étions au terme du périple, le camp d'Auschwitz-Birkenau."

Quelques instants plus tard, une femme lui murmure à l'oreille : "Surtout dis bien que tu as 18 ans". Simone, qui n'a que 16 ans et demi, suit ce conseil. Elle est alors dirigée, avec sa mère et sa sœur, dans la "bonne file" des femmes, qui sont mobilisées pour travailler. Celles de l'autre file sont gazées.

"Notre foyer était détruit. Nous, nous étions jeunes. Nous avions notre vie à construire"
Simone Veil dans "Une vie"

En 1945, Simone, sa sœur et sa mère sont emmenées au camp de Bergen-Belsen. Cette dernière décède du typhus, une maladie que contracte également Madeleine. Son père et son frère sont eux, déportés en Lituanie, d'où ils ne reviendront jamais. À la Libération, Simone doit apprendre à "revivre". "Comme tant d'autres, la famille Jacob avait payé un lourd tribut à la fureur nazie, écrit-elle dans ‘Une vie’. Seule Denise [son autre sœur] et moi rentrions en France à peu près indemnes. Notre foyer était détruit. Nous, nous étions jeunes. Nous avions notre vie à construire."

Simone Veil militera toute sa vie pour la reconnaissance du rôle des Justes, qui ont permis de sauver des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle devient, en 2000, présidente d'honneur de la Fondation pour la mémoire de la Shoah.



La "Loi Veil"

  À la tribune de l’Assemblée nationale, lors de la présentation du projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse loi, le 26 novembre 1974. © Archives AFP


De retour à Paris après la guerre, Simone Jacob obtient une licence en droit, épouse Antoine Veil en 1946, fonde une famille et renonce au métier d'avocat pour entamer sa carrière dans la magistrature. En 1974, elle entre en politique en tant que ministre de la Santé du gouvernement Chirac, après l'élection de Valéry Giscard d'Estaing à la présidence.

Celui-ci ne l'a pas choisie par hasard : il connaît son opinion quant à l'interdiction de l'avortement en France. Il la soutient donc, mais l'Assemblée s’oppose à la légalisation de l’avortement. Insultes, provocations, manifestations s’ensuivent... Seule au milieu d'une marée d'hommes, les larmes aux yeux, Simone Veil ne lâche pas et finit par faire adopter le projet de loi sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG), qui dépénalise l'avortement. Le texte de loi, qui porte son nom, entre en vigueur le 17 janvier 1975.

Cette bataille opiniâtre lui confère une place de choix dans le cœur des Français. Elle était encore, en 2016, leur personnalité féminine préférée.



Un engagement
européen

  Lors d’un discours au Parlement européen à Strasbourg, le 24 juillet 1984. © Michel Mochet, AFP


Le 19 juillet 1979, l'Union pour la démocratie française (UDF, centre), pour lequel Simone Veil a fait campagne, remporte les premières élections européennes au suffrage universel. Elle devient la première présidente du Parlement européen, où elle occupera un siège de député jusqu'en 1993. Cantonnée dans une opposition modérée après l'élection de François Mitterrand en 1981, elle fait son retour au gouvernement à la faveur de la cohabitation de 1993. Le Premier ministre, Edouard Balladur, la nomme ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville. Elle devient cette fois la première femme ministre d'État.

Présidente du Haut conseil à l'intégration en 1997, puis membre du Conseil constitutionnel de 1998 à 2007, elle annonce son soutien à la candidature de Nicolas Sarkozy en 2007, tout en conservant sa liberté de ton. Elle critique notamment la création d'un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale, plutôt qu'un ministère de l'Immigration et de l'Intégration. Elle s'oppose également à son projet de confier à chaque élève de classe de CM2 la mémoire d'un enfant juif de France mort pendant la Shoah. "C’est inimaginable, insoutenable, dramatique et, surtout, injuste", déclare-t-elle alors.

Sous la Coupole

  Accompagnée de son fils Jean Veil, pour son intronisation à l’Académie française, le 18 mars 2010. © François Guillot, AFP


Tailleur de tweed, chignon noir, yeux verts... Simone Veil est, en mars 2010, la sixième femme à entrer à l'Académie française – sur 708 élus depuis sa création. Elle rejoint sous la Coupole Marguerite Yourcenar, Jacqueline de Romilly, Hélène Carrère d'Encausse, Florence Delay et Assia Djebar. "Les femmes ont une autre vision de la société ! Et il est important qu'elles apportent leur regard, souvent plus pratique, plus concret que celui des hommes", affirme-t-elle lors de son intronisation.

Sur son épée d'Immortelle figurent le numéro 78651, qui lui avait été tatoué sur le bras à Auschwitz, ainsi que les devises de la République française et de l'Union européenne : "Liberté, égalité, fraternité" et "Unis dans la diversité".