Le 10 mai 1940, les Allemands lancent leur offensive. En Belgique et dans le nord de la France, c'est la panique. La population garde le souvenir des exactions d'août 1914. Massacre, viols, occupation brutale, elle ne veut pas revivre ce cauchemar. Près de deux millions de Belges convergent en quelques jours vers la frontière, mais également des Néerlandais et des Luxembourgeois.
Les Français de l'Est et du Nord quittent à leur tour villes et villages. En juin, lorsque les troupes allemandes s'approchent de Paris, l'exode atteint une ampleur inouïe. De nombreux Parisiens fuient aussi la capitale.
En quelques semaines, 8 à 10 millions de réfugiés prennent la route, soit près d'un quart de la population française de l'époque.
Quatre-vingt ans après, France 24 a recueilli les témoignages de ceux qui ont vécu cet exode au début de la Seconde Guerre mondiale. Alors enfants ou adolescents, ils ont tout quitté en quelques heures. Beaucoup ne sont restés que quelques jours sur la route, avant de reprendre le chemin inverse, mais les souvenirs traumatisants ou exaltants de ce départ forcé ne les ont jamais quittés.
Née le 11 décembre 1932.
Mon père était militaire de carrière. Au moment de l'offensive allemande, avec ma mère, nous étions avec lui à Charleroi, en Belgique, où il était en garnison. Il est parti tout de suite avec l'armée belge. Mon père avait recommandé à ma mère de ne pas rester en ville si le conflit éclatait et qu'il valait mieux partir chez mes grands-parents à la campagne, dans un village minier.
Nous y sommes allés, mais nous ne sommes pas restés longtemps. Tout le monde était inquiet. Avec des voisins, ma famille a décidé de partir en groupe, à pied. Nous devions être une vingtaine de personnes. Cela devait être autour du 14 mai 1940. Nous nous sommes dirigés vers la frontière française car pour les gens, le refuge était la France, comme en 1914-1918. J'étais la seule gamine du groupe. Pour ne pas que je m'égare, ma mère m'avait attaché une grande ficelle au poignet.
Nous étions encore en Belgique, près d'une ferme, quand il y a eu un bombardement. Il devait y avoir un convoi militaire dans les environs. Nous n'avons pas eu le temps de rentrer à l'intérieur pour nous protéger. Nous nous sommes abrités le long du mur, mais mes grands-parents ont été gravement blessés. Mon grand-père a perdu une jambe et ma grand-mère a été touchée au genou. Ma mère a aussi été blessée à la tempe, et moi au bras avec les éclats d'obus. Elle m'a retrouvée près d'un cratère et la ficelle avait disparu. Je me suis retrouvée au milieu des gens qui hurlaient et qui pleuraient. Je voyais ma mère avec le visage ensanglanté et mes grands-parents étendus au sol. Elle ne savait pas quoi faire. Des soldats français sont arrivés et lui ont dit qu'ils allaient s'occuper d'eux. Ils les ont mis dans une petite maison inhabitée. Quand elle est retournée les voir, les militaires avaient disparu et ils avaient détroussé mes grands-parents. On n'a jamais oublié ce fait de guerre horrible.
Tant bien que mal, ma mère a finalement réussi à les faire évacuer dans un village tout proche. Mon grand-père est malheureusement mort rapidement. Nous avons dû laisser sa dépouille et continuer notre route. Nous avons été évacués en camion jusqu'à Omont, dans les Ardennes françaises. C'est là que ma grand-mère est décédée, elle aussi, dans un hôpital des suites de ses blessures. Elle a été enterrée là-bas. J'ai donc perdu mes deux grands-parents au cours de cette évacuation. Nous avons ensuite subi un autre bombardement et il a été décidé que nous devions partir encore plus loin, vers le Sud. Nous nous sommes retrouvés à Lapalisse, près de Vichy. Nous avons été pris en charge par les habitants. Mais à partir du 28 mai, le jour où le roi des Belges Léopold III a capitulé, cela a tourné au vinaigre. Maman a eu plusieurs altercations avec des commerçants. Ils ne voulaient plus vendre "aux traîtres belges".
Malgré tout, ma mère et ma tante ont trouvé du travail dans une entreprise locale pour gagner un peu d'argent. Nous sommes restés tout l'été. Un beau jour, on nous a dit que nous pouvions repartir. Nous sommes rentrés en train jusqu'à Charleroi. Cela a pris du temps pour que cette période s'efface, mais elle n'est jamais partie complètement. J'ai eu des cauchemars pendant longtemps.
Née le 8 août 1930.
Je suis originaire d'Anvers, en Belgique. Nous étions une grande famille de sept enfants. Mes parents avaient vécu la guerre de 1914-1918. Ils connaissaient les atrocités qu'il y avait eu à l'époque et ils ont donc décidé de partir, car ils savaient qu'Anvers allait être visé. Nous étions nombreux, mais comme mon père avait une entreprise de transports, il avait un camion et une voiture.
Je ne sais plus exactement quand nous sommes partis vers la mer. Cela devait être deux ou trois jours après l'offensive du 10 mai. Le premier jour, nous avons réussi à nous loger dans un appartement pour une nuit à Middelkerke, sur la côte. Je me souviens que, durant la nuit, je me suis réveillée dans la cave. On nous avait descendu car les Allemands bombardaient déjà Ostende qui était juste à côté. Le lendemain, nous sommes repartis et nous avons dormi à La Panne, près de la frontière française. Nous sommes descendus ensuite jusqu'au Tréport, en Normandie. Les Belges y étaient très bien accueillis. Les gens avaient même arrangé des tables avec de la nourriture.
Nous sommes ensuite allés plus loin, jusqu'en Bretagne, à Carnac, dans le Morbihan. Nous avons pu louer une petite maison. J'étais enfant. Pour moi, c'était un plaisir d'habiter là. J'adorais la campagne. Il y avait des poules partout. C'est un magnifique souvenir. C'était un peu une aventure comme si nous étions en vacances. Nous vivions avec les Bretons. J'aimais cette atmosphère. Je voyais le beau. Je me suis bien amusée, même si mes parents devaient avoir beaucoup de tracas à ce moment-là. Nous étions quand même sept enfants à nourrir. Mon père a été jusqu'à Paris pour travailler et avoir un peu d'argent.
Nous sommes restés environ un mois à Carnac. Je suis même allée à l'école. Je n'ai pas été traumatisée par cette période car sur la route nous n'avons pas été bombardés. Nous avons eu cette chance, contrairement à d'autres personnes que nous connaissions. Un mois après, nous sommes repartis à Anvers. Sur le chemin, il y avait des ruines partout.
Né le 2 octobre 1932.
Ma mère avait une peur bleue des Allemands, qui provenait certainement des exactions commises lorsqu'ils avaient occupé, en 1914-1918, le nord-est de la France. Elle avait entendu dire qu'ils violaient les femmes. C'est elle qui a décidé de partir. Mon père est resté dans notre ferme, à Montreuil-en-Caux, en Seine-Maritime.
Vers le 10 mai, le camion d'un ami de mes parents est arrivé. Mon père y a chargé deux matelas avec quelques bagages. Nous sommes montés dedans. Il y avait ma mère, ma grande sœur Marie, ma petite sœur Marguerite, mon frère René. Nous sommes partis dans la Sarthe dans la maison d'un camarade de 14-18 de mon père. Mais le 10 juin, les informations nous ont annoncé que l'ennemi avait passé la Seine. Ma mère a alors décidé de partir le lendemain matin vers le Sud, sans destination précise. Après Le Mans, ce fut la galère des files de réfugiés à l'infini, poussant brouettes, voitures d'enfants, vélos surchargés, etc. Les véhicules ont été bloqués. Nous sommes partis à pied sur des petites routes laissant à l'armée française les grands axes. Nous avons trouvé une grange pour passer la nuit. Elle était déjà habitée par une colonie de rats, mais nous étions tellement épuisés que rien ne pouvait nous empêcher de dormir.
Nous avons repris la route le lendemain très tôt. Nous nous sommes couchés le long du talus lors de deux passages d'avions en rase-mottes. Il n'y a pas eu de cri de douleur. Apparemment, personne n'avait été touché. Au lever du jour, nous avons repris cette file interminable de réfugiés. À part ce défilé de moins en moins dense, nous ne pouvions imaginer que nous étions en guerre. Mais cela n'a pas duré longtemps. Dans la nuit, nous avons été réveillés par des bruits de combats aériens. Les éclats tombaient sur le toit de tuiles du hangar. Avec des arrêts fréquents, nous sommes finalement arrivés à Limoges, où des habitants nous ont abrités dans leur garage. C'était la première fois depuis notre départ que nous avons déballé nos matelas.
La rumeur parlait de zone libre. Ma mère, ne voulant pas rester éventuellement bloquée, a décidé de rentrer. Il nous a fallu une semaine pour trouver de l'essence et des papiers pour franchir la ligne de démarcation. Au retour, nous avons traversé la Seine sur un pont provisoire posé sur de grandes barques. C'est là que j'ai vu le premier officier allemand. Il avait une allure impressionnante. En rentrant, nous avons appris que mon père était venu à notre rencontre, mais il nous avait ratés à quelques jours près. En notre absence, la maison avait été dévalisée par les voisins et sabotée par les Allemands. Je repense tout le temps à cette période, surtout en ce moment, pendant le confinement, quand les gens se plaignent. Ce n'est rien à côté de ce qu'on a vécu sur la route à cette époque. Le danger venait du ciel n'importe quand.
Né le 27 février 1923.
Je suis né et j'ai grandi à Douai, dans le Nord. Le 10 mai 1940, les Allemands ont procédé à leur offensive. À partir de ce moment-là, Douai et ses environs ont subi de gros bombardements car la ville possédait un dépôt de locomotives, un triage et pas mal d'industries. À partir du 11, Douai a été envahi par des Belges, des Hollandais et des Luxembourgeois qui fuyaient l'avance allemande.
Nous avons finalement pris la route le 13 mai, de bonne heure. À l'époque, il y avait très peu de voitures automobiles, elles appartenaient à la classe aisée. Pour les autres, c'étaient des voitures tirées par des chevaux ou comme pour nous, une voiture à bras. Nous sommes donc partis à pied vers Saint-Pol-sur-Ternoise, dans le Pas-de-Calais. Nous avons pu dormir sur la paille dans une grange. Il y avait des centaines d'évacués. Vers 4 h du matin, nous avons été réveillés par un bombardement. Immédiatement, nous avons repris notre charrette et la route. En deux jours, nous avons parcouru 70 kilomètres à pied. Nous mettions de temps en temps notre grand-mère dans la brouette pour la soulager, compte tenu de son âge.
Nous sommes arrivés à Buneville épuisés et terrorisés. Nous ne savions plus quoi faire parmi ces milliers d'évacués. Sur la place du village, une brave dame d'une cinquantaine d'années est arrivée vers nous. Elle nous a dit qu'elle pouvait héberger une dizaine de personnes et elle nous a conduit à sa demeure. Nous nous sommes trouvés devant un petit château. C'est là qu'elle nous a dit qu'elle était la baronne de Hauteclocque. Nous ne le savions pas encore, mais c'était la cousine de Philippe de Hauteclocque, le futur maréchal Leclerc. C'était une femme charmante et extraordinaire.
Nous nous sommes donc installés. Elle nous a expliqué qu'à côté du château, il y avait une ferme avec de la volaille, des œufs, des pommes de terre, des haricots et qu'il ne fallait pas se gêner. "S'il vous manque quelque chose, je suis à votre disposition", a-t-elle ajouté. Quelques jours après, nous envisagions de rentrer à Douai et Madame la baronne nous a dit : "Mais vous n'êtes pas bien ici ? Qu'allez-vous faire dans une ville occupée par les Allemands ? Vous allez subir les premiers excès de l'occupation, alors que vous êtes ici chez vous". Nous avons écouté ses bons conseils. Le baron, plus distant et moins expansif que sa femme, nous a cependant proposé de venir le soir le rejoindre dans sa bibliothèque pour entendre les informations de la BBC. C'est comme ça que le 18 juin 1940, j'ai eu le privilège d'entendre en direct l'appel du général de Gaulle avec la famille de Hauteclocque. Le destin est bizarre !
Deux jours plus tard, nous avons repris la route à contre-cœur, mais il fallait bien rentrer chez nous. Notre maison avait été pillée. Nous avons repris notre vie tant bien que mal. J'ai commencé à faire de petits actes de résistance et j'ai incorporé le mouvement de La Voix du Nord. Cela m'a amené à vivre des aventures formidables. J'ai été arrêté par la Gestapo, mais par miracle j'ai échappé au peloton d'exécution.
Né le 5 septembre 1934.
Avant 1940, nous habitions à Laon, dans l'Aisne, près de la gare. À la déclaration de la guerre, en septembre 1939, mes parents ont pensé, par crainte des bombardements, qu'il serait plus prudent d'aller vivre en dehors de la ville, avec ma grand-mère et mon arrière-grand-mère. Le 16 mai 1940, en fin d'après-midi, nous avons vu entrer une colonne française de blindés. Nous sommes sortis sur le pas de la porte. J'étais petit, mais j'ai un certain nombre de souvenirs précis de cette époque, comme des flashs qui restent très vifs. Les militaires nous ont alors dit : "Partez, partez, nous allons nous battre". Il s'agissait de soldats du colonel de Gaulle, le futur général, qui allaient arrêter le lendemain les Allemands, à une vingtaine de kilomètres de là, lors de la célèbre bataille de chars de Montcornet.
Nous avons donc pris la route à pied, vers le Sud. Nous avons installé mon arrière-grand-mère qui était impotente sur une charrette à bras. En chemin, des camions militaires se sont arrêtés pour nous aider. Ils ont installé mon arrière-grand-mère dans une ambulance, puis ils ont fait monter mes parents, ma sœur âgée de 20 mois et ma grand-mère dans un autre camion. C'était la pagaille. Je n'ai pas pu monter et les soldats ont décidé de m'installer dans le camion suivant. Mais les deux véhicules n'ont pas pris la même direction. C'est comme cela que j'ai été perdu et séparé de mes parents.
Je ne me souviens pas de l'embarquement dans ce camion, mais je me rappelle m'être retrouvé le lendemain entouré par des militaires. Ils m'ont fait boire un quart de gnôle. Cela avait un goût épouvantable. Ils ont certainement voulu m'endormir. Je me revois ensuite sortir du noir total d'une grange avec un soldat qui me tenait par la main. Il cherchait de l'eau. Il avait entendu pleurer et m'avait découvert. On peut dire qu'il m'a sauvé la vie. Il m'a ensuite conduit dans une école de Reims, où il m'a confié à la directrice. Nous avons alors été évacués avec tous les enfants dans un petit village de la Nièvre.
De leur côté, mes parents ont fui vers la Mayenne et se trouvaient dans un centre pour réfugiés. Mon père est alors reparti pour essayer de me retrouver. Pendant cinq semaines, ils n'ont pas su si j'étais vivant ou mort. Ils ont fini par apprendre où je me trouvais car j'avais sur moi un petit sachet en toile. Ma grand-mère l'avait confectionné et y avait placé mon nom, mon adresse et une prière. Ils sont finalement venus me récupérer dans la Nièvre par le train à la fin du mois de juillet. J'ai un souvenir très précis du moment où je me suis réveillé après la sieste. Ils étaient là, assis, au pied de mon lit. C'était extraordinaire. Nous nous sommes ensuite rendus au camp de Ruillé-Froid-Fonds, toujours en Mayenne, où nous sommes restés jusqu'en novembre 1940.
Née le 19 mai 1923.
Après plusieurs bombardements, Somain, dans le Nord, où nous habitions, se vidait de ses habitants. Nous sommes partis à pied, le dimanche 19 mai 1940, avec mes parents et mes six frères et sœurs, ainsi qu'une autre famille. Nous avions deux vélos et une voiture d'enfant.
Le soir, nous avons trouvé une grange où les enfants ont pu se coucher sur des sacs de grains. Nous nous sommes remis en route, nous marchions en file indienne tellement il y avait de monde. Au moment de franchir un pont, nous avons entendu : "Dépêchez-vous ! Le pont va sauter !" En effet, à peine arrivés de l'autre côté, il y a eu un grand "boum" : le pont avait explosé. Le lendemain, à cinq kilomètres de Saint-Pol-sur-Ternoise, nous avons croisé un premier side-car avec deux Allemands, suivi de jeeps, puis de chars. Les Anglais, qui étaient positionnés tout au long de la route, se sont mis en position de tir et nous nous sommes retrouvés au milieu.
Papa, maman, mon frère et moi, nous nous sommes couchés dans le fossé. Nous entendions les balles siffler au-dessus de nous. Je ne sais pas combien de temps cela a duré, mais cela a semblé long. Les Allemands se sont faufilés derrière nous, puis le calme est revenu. Comme papa se plaignait, maman et moi sommes allés près de lui. Il avait reçu des balles de mitrailleuse dans le dos. Ses dernières paroles ont été : "Quel malheur de tirer sur des civils". Maman a demandé à mon frère Robert de l'aider à le déplacer un peu, mais il ne pouvait plus lever son bras. Il avait lui aussi reçu une balle de mitrailleuse.
Les tirs ont recommencé. Quand le calme est revenu, maman m'a dit qu'elle aussi était blessée. Elle avait reçu une grenade sur le derrière. J'ai appelé papa, mais il ne répondait plus. La déflagration de la grenade l'avait achevé. J'ai pensé que maman prenait feu, il y avait tellement de poussière. On ne se voyait plus. Nous étions perdus. Nous ne savions plus quoi faire. Nous avons dû laisser papa dans le fossé. Quant à maman, nous ne savions que faire. En voyant un homme avec une brouette vide, nous lui avons expliqué que nous avions une blessée à transporter. "Prenez-la. Elle ne me sert plus à rien. Ma femme vient de mourir", a-t-il dit. Nous avons mis maman dans la brouette et nous sommes partis à travers champs, suivis des six enfants qui marchaient péniblement. Nous sommes restés deux ou trois jours dans une ferme.
Les blessés ont été conduits à Cambrai, où maman est restée six mois. Avant de rentrer, nous sommes allées voir si papa était encore dans le fossé. C'était le cas. Nous avons repris la route à pieds pour Douai en plusieurs étapes, couchant ici et là dans les fermes, puis chez des connaissances, avant de revenir à Somain.
Née le 28 août 1931.
Mes parents avaient un petit commerce dans le village de Muttersholtz, en Alsace. Nous n'avons pas été évacués dès le début de la guerre, en septembre 1939, car notre village était à une quinzaine de kilomètres du Rhin, ce qui, d'après les conflits précédents, était loin du front. Nous avons été évacués au printemps 1940, vers Ribeauvillé, qui n'était pas très loin. Nous étions cinq, mes parents, ma petite sœur, mon frère aîné et moi. Nous sommes partis sur une carriole à cheval. Je me disais : "Chic, on s'en va, on va voir du pays !".
Une fois arrivés à Ribeauvillé, nous avons réussi à nous loger. Après l'armistice [le 22 juin 1940], tout le monde a pu rentrer au village, sauf nous qui étions juifs. L'Alsace ayant été annexée au IIIe Reich, les juifs n'étaient plus autorisés à retourner chez eux. Nous sommes partis pour Gérardmer, dans les Vosges, où une cousine avait loué une maison. Sur le trajet, le camion qui déménageait nos affaires nous a débarqués au coin d'une rue avec nos valises. Nous étions complètement abandonnés. Mon frère Lucien est alors parti à vélo pour essayer de trouver un autre véhicule. C'est la dernière fois que je l'ai vu. Quand il est revenu, la nuit, nous étions déjà partis, car la police n'avait pas voulu que nous restions sur le bord de la route. Il ne nous a jamais retrouvés. Nous avons finalement appris qu'il s'était réfugié dans l'Ain. Il a été arrêté là-bas en avril 1944, puis déporté à Kaunas, en Lituanie, où il a été assassiné.
De notre côté, nous sommes restés à Gérardmer jusqu'en février 1944, date à laquelle nous avons pu fuir. Ma sœur aînée faisait partie d'une organisation de Résistance qui récupérait des enfants juifs. Nous sommes parties en train pour Paris avec ma petite sœur, puis nos parents ont réussi à nous rejoindre. Nous avons ensuite tous été cachés.
Pour moi, l'exode, c'est le départ de notre village et la perte de mon frère. Il a finalement été très court. Je n'ai pas vraiment l'impression d'avoir vécu l'exode comme on le voit dans les images d'archives, mais plutôt un exil. Nous n'avons pas été longtemps sur les routes en mai 1940. Mais il est vrai que je n'ai pas revu Muttersholtz avant 1945.
Née le 2 février 1936.
Je venais d'avoir 4 ans quand les combats ont éclaté. J'habitais à Rouen, en Seine-Maritime, dans un immeuble de briques rouges, seule avec ma mère qui était doubleuse en fourrure. Je n'avais aucun souvenir à ce moment-là de mon père, un marchand de charbon, mobilisé en octobre 1939. Il ne rentrera que six ans plus tard.
Quand le bruit des sirènes a commencé à retentir, c'était la panique. La femme d'un ancien client de papa a bien voulu nous prendre. Nous avons fait nos paquets, les plus légers possible, et au petit matin nous avons marché vers le lieu de rendez-vous, sans savoir réellement vers quelle destination. Il était très tôt, l'aube était violette, le silence de la rue était pesant.
On a disposé de chaque côté de la plateforme du camion deux bancs de bois, pour que chacun puisse prendre sa place. Nous sommes sortis de Rouen et nous avons emprunté les routes de campagne. Ma mère serrait entre ses jambes son maigre trésor : un baluchon de linge et quelques économies. Après dix heures de route, nous étions tous fourbus de fatigue. Nous avons cherché un endroit pour dormir. Nous avions maintenant un nouveau statut : nous étions des réfugiés ! Le maire d'un village nous a proposé de nous installer dans un grenier. Première journée, premier étonnement : nous allions tous dormir ensemble. Ma situation de fille unique appréciait beaucoup d'être entourée par d'autres enfants. Ce n'est pas le foin, les bestioles, ni les avions qui faisaient des loopings au-dessus de ma tête, qui allaient gâcher mon plaisir. Je ne sais pas si les grands ont bien dormi, mais ce dont je me souviens, c'est que nous avons bien ri.
Nous sommes ensuite arrivés dans la ville de Conches, dans l'Eure. Nous venions de rouler depuis deux heures environ, ballottés comme de vulgaires sacs de farine, lorsqu'un grondement nous a annoncé l'arrivée d'une escadrille. En un temps record, nous nous sommes retrouvés à terre cherchant un abri. Mais trop tard, la mitraille commençait. Le dessous d'un camion a fait l'affaire. Nous nous sommes tous couchés à plat ventre dans un bruit de tonnerre effrayant. Cela tombait de tous les côtés. Cela a duré dix minutes, mais c'était très long dans ces conditions. L'alerte est passée et là, l'horreur ! Nous nous étions réfugiés sous un camion de munitions !
Notre descente impossible vers le Sud, trop lente, a fait que les Allemands plus rapides que nous, nous ont rejoints. Il était inutile dans ces conditions de poursuivre cet exode. Les grands ont décidé de faire demi-tour et de rentrer à Rouen.
Né le 21 octobre 1930.
J'étais fils unique. Je vivais à Rouen, en Seine-Maritime, où mon père était marchand de vélos. Il n'avait pas été mobilisé en 1939 car il était réformé. Quand les Allemands ont envahi la France, mes parents se sont dit qu'il fallait que l'on se sauve. Il y avait plein de bruits qui couraient comme quoi ils tuaient les enfants. Mon père a acheté une vieille voiture. Nous l'avons chargée. Nous avons même mis les vélos sur le toit parce qu'on se disait que nous n'allions pas aller bien loin.
Nous sommes partis le 9 juin et quand nous sommes arrivés sur les quais de Rouen, il y avait un embouteillage pour passer le pont Boieldieu et traverser la Seine. Nous avons attendu pour passer. Il y avait déjà des sacs de sable qui bouchaient le pont, puis, ils l'ont complètement fermé. C'est à ce moment-là que les militaires français l'ont fait sauter car les Allemands arrivaient. Malheureusement, un ami de mes parents qui évacuait à vélo était dessus et a sauté avec. Des militaires ont également été tués.
Nous nous sommes sauvés et nous sommes allés nous abriter dans une cave un petit bout de temps. Je me souviens qu'il y avait un soldat français avec nous avec son fusil. Quand nous sommes sortis de la cave après quelques heures, les Allemands étaient là. Il a été fait prisonnier. Quand nous avons voulu reprendre notre voiture, tous les autres véhicules avaient brûlé autour, mais le nôtre par miracle était intact : juste un pneu crevé ! Sur la route du retour, nous avons croisé des Allemands. Ils nous ont fait signe de nous arrêter en montrant le pneu, mais nous avions trop peur. Nous avons fait toute la route en roulant sur la jante. Pour moi, l'exode n'a finalement duré que quelques heures. Nous avons vécu toute la guerre à Rouen. Mon père a fait de la Résistance. Il a été arrêté en 1944, puis déporté à Dachau et Mauthausen. Il a été libéré en mai 1945 et il est rentré.
Née le 13 juin 1925.
J'habitais à l'époque à Compertrix, dans la Marne, avec ma mère, directrice d'école et secrétaire de mairie, et mon père, grand mutilé de la guerre de 14. Ma mère devait donner à la population les laissez-passer pour quitter Compertrix. Nous sommes donc partis en dernier et les Allemands étaient à nos portes. Nous vivions sous les bombardements. La population pensait à la guerre précédente. Pour elle, les ennemis n'allaient pas passer la Marne. Mes parents ne m'ont rien expliqué, mais j'avais 15 ans et je me rendais bien compte de la situation.
Nous sommes partis en voiture, avec mes parents, mon frère et ma sœur chez mon autre sœur, institutrice dans l'Aube. Nous voulions ensuite aller dans le Lot, chez mes grands-parents, mais tout le monde ne tenait pas dans la voiture. Mon père nous a donc déposés dans l'Yonne, puis il est reparti chercher le reste de la famille. Nous étions sur un muret à l'attendre. Toute l'artillerie française défilait devant nous pour rejoindre je ne sais quoi. C'était vraiment la débâcle. Quand les avions sont arrivés pour bombarder la ville de Tonnerre, les bombes étaient lancées au-dessus de nous. Le soir, une dame a récupéré les clés du château d'Ancy-le-Franc pour que nous puissions nous reposer. Mon père est revenu et nous avons dormi à cinq dans le même lit, celui d'Henri IV.
Nous avons finalement atteint Terrou, dans le Lot, en poussant la voiture sur les derniers kilomètres, car il n'y avait plus d'essence. Nous sommes restés là-bas l'été en famille, heureux d'être tous ensemble. À la rentrée scolaire, en octobre, ma mère a reçu un ordre de réquisition, il fallait rouvrir les classes. Nous avons donc passé la ligne de démarcation pour rentrer. À l'arrivée, à Compertrix, tout était occupé par les Allemands. Nous ne pouvions plus rentrer chez nous. Alors des parents d'élèves nous ont aidé, avant que nous puissions finalement nous réinstaller dans la mairie.
Née le 13 novembre 1934.
En mai 1940, je vivais à Romilly-sur-Seine, dans l'Aube. Mon père était cheminot. Il a été mobilisé en septembre 1939. Quand il y a eu l'offensive allemande, nous sommes partis avec mes grands-parents qui habitaient non loin. Tout le village s'est mis en route, y compris les bonnes sœurs et leur voiture à bras. Je ne me souviens pas avoir reçu d'explications, ni de savoir quelle était la destination. Le fermier voisin a mis à la disposition de mon grand-père une voiture à moisson et son attelage. Nous y avons entassé la literie, les ustensiles, nos vêtements, des vivres, ainsi que les papiers et documents importants. J'ai pris avec moi mon poupon en celluloïd.
Nous avons fait une vingtaine de kilomètres avec plus d'arrêts que d'avancées. Nous nous arrêtions le soir dans des fermes abandonnées. Nous mangions ce que nous trouvions et nous dormions dans la paille des granges. Je voyais un très vieux monsieur s'enfouir complètement dans la paille. J'avais peur car seule sa tête coiffée de sa casquette dépassait. Je me rappelle aussi d'une femme et de sa fille qui entraient dans les maisons et qui revenaient avec des vêtements et des bijoux.
Mais le moment qui m'a le plus marquée est celui du bombardement de la gare de Sainte-Maure. Une énorme explosion a retenti derrière notre convoi et nous avons vu un grand incendie. La panique s'est déclarée. J'ai vu ma sœur courir pieds nus, serrant ses chaussures sur son cœur. Une maman avec son enfant dans les bras s'est jetée dans les herbes au bord de la route. C'était malheureusement des roseaux dans un marécage. Des hommes ont réussi à la sortir de là. Je vois toujours les petits souliers en cuir de son bébé gorgés d'eau. Quand les avions allemands nous survolaient, nous nous jetions dans les fossés qui bordaient la route. Ma grand-mère m'appuyait alors sur la tête et je n'aimais pas ça. Il y avait aussi un motocycliste qui doublait régulièrement le convoi et que nous appelions "l'espion".
Nous avons aussi vécu de bons moments quand les jeunes garçons jouaient aux cartes assis sous les voitures à moisson, ou quand mon ami Roger nous faisait faire un tour dans la traction de ses parents. Je ne sais pas combien de temps exactement nous sommes partis, mais quand nous sommes rentrés chez mes grands-parents, il n'y avait plus aucune provision. Je pense avoir vécu une période historique, même si je ne m'en suis pas rendu compte sur le moment.
Né le 3 janvier 1933.
J'habitais à Arcis-sur-Aube, avec mon père qui était bûcheron et ma mère ouvrière d'usine. Le 13 juin, notre ville venait d'être bombardée. Nous avons passé plus d'une demi-heure couchés sous le lit. Cela faisait déjà un certain temps que nous avions l'habitude de voir passer des réfugiés de Belgique et du Nord qui s'enfuyaient devant l'avancée allemande. Nous en avons conclu que notre tour allait venir bientôt. Le soir, nous étions prêts à partir. Nos vélos étaient chargés : quelques vêtements, une couverture chacun et nos masques à gaz. Ma mère a aussi roulé un nounours dans la couverture fixée sur mon guidon. En sortant de la maison, elle a regardé la façade, tragique, en soupirant : "Adieu, notre pauvre maison".
Nous avons laissé derrière nous Arcis-sur-Aube en flammes, mais nous ne savions pas où aller. Plusieurs fois, nous avons échappé aux bombardements en passant juste avant. Mais une fois, nous étions vraiment dessous. Heureusement, personne n'a été blessé, mais cela a été mon baptême du feu. Une bombe est tombée à une vingtaine de mètres de nous. Je regardais les avions qui bombardaient. Mon père a alors couché ses 100 kilos sur moi, paraît-il pour me protéger, et j'ai failli claquer étouffé ! Au fond du fossé, il y avait des fourmis et des orties. Quand je me suis relevé, j'avais la figure toute irritée.
Ce qui a été difficile, c'était de voir non seulement la mort des humains, mais aussi celles des animaux, tués par les mitraillages. Je me rappelle de cette odeur de cadavres. Avec la chaleur du mois de juin, les chevaux morts étaient énormes. Ils avaient gonflé. On les évitait, comme les cadavres humains. Je me souviens avoir vu une voiture légère retournée avec des pieds de femmes qui dépassaient. Nous ne nous sommes pas arrêtés car elles étaient certainement mortes. Il y avait aussi des soldats tombés raides à genoux alors qu'ils étaient en train de tirer.
Nous avons passé une dizaine de jours sur la route et fait 60 kilomètres, pas plus. À un certain moment, en pleine nuit, nous avons finalement été arrêtés. C'étaient les Allemands qui nous étaient passés devant et qui nous interdisaient d'aller plus loin. Le lendemain, nous sommes donc rentrés au milieu des villages en feu. La maison avait été secouée par les bombardements, mais elle était debout. Elle avait été pillée, mais comme nous étions d'une condition modeste, ce qui avait été pris n'était pas d'une grande valeur. À ce moment-là, Arcis-sur-Aube était l'une des villes les plus sinistrées de France. Tout avait été ravagé.
Née le 7 juillet 1933.
J'étais d'un petit village, non loin de Dijon, en Côte-d'Or, qui s'appelle Aignay-le-Duc. Mes parents étaient marchands de vins et de bières. En mai 1940, mon père était à la maison parce qu'il avait été démobilisé en raison d'un problème de santé.
Dans le village, on ne parlait que de l'arrivée des Allemands. On savait qu'ils n'étaient pas loin. Ils avaient déjà lancé quelques bombes aux alentours. Beaucoup étaient déjà partis, mais mes parents attendaient l'ordre d'évacuation donné par le maire. Ils avaient déjà préparé nos affaires, mais ils n'étaient pas vraiment pressés de quitter la maison et notre commerce. Le dimanche 16 juin 1940, à 2 h 30 du matin, on nous a appris qu'il y avait un ordre de repli. Nous avons préparé nos deux voitures, une conduite intérieure et une camionnette. Il y avait ma grand-mère, mon grand-père, un oncle, une tante et mes parents. Nous avons dû transporter mon grand-père, impotent, dans la camionnette, arrimé à l'arrière.
À un moment, sur la route, un homme s'est mis en travers du chemin pour nous prévenir que les Allemands étaient un peu plus loin. Papa, très sceptique, pensait que c'était un espion de la "cinquième colonne", mais en fait il disait vrai. Un peu avant d'arriver à Saulieu, nous avons entendu les mitrailleuses en action. Nous nous sommes tous couchés dans le fossé, sauf mon grand-père, qui était dans son fauteuil dans la camionnette. Il me semble bien que nous avons fait nos prières. Il y avait un bruit terrible parce que de l'autre côté de la route, il y avait des voitures qui flambaient. Quand le silence est revenu, nous nous sommes tous levés avec les bras en l'air. À ce moment-là, nous avons vu arriver un officier allemand, le revolver au poing. Nous avons eu tous très peur. Et finalement, il s'est approché de nous et il nous a dit que la guerre était bientôt finie. Il m'a fait une gentille caresse sur la joue, ce qui m'a surpris.
Il y a également eu un miracle ce jour-là : mon grand-père, resté dans la voiture, est ressorti indemne alors que le matelas au-dessus de lui a été troué plusieurs fois par les balles. Nous avons dormi dans le foin, dans un grenier, et le lendemain, nous avons été très bien accueillis dans une ferme, où il y avait d'autres réfugiés. Dans la journée, nous avons été au milieu des champs de blés, et nous avons décidé de faire des bouquets de fleurs bleu-blanc-rouge, avec des bleuets, des marguerites et des coquelicots. Mais tout d'un coup, quand nous avons entendu des bruits de voitures et de tanks, nous avons caché nos bouquets. Nous voulions être patriotes, mais nous n'étions pas tranquilles. Nous avons ensuite appris que nous pouvions repartir chez nous. Nous ne sommes finalement restés que deux jours sur la route de l'exode.
Née le 16 octobre 1931.
J'habitais à Levallois, près de Paris. Mon père étant mobilisé, ma mère était seule avec mon frère et moi. J'avais 8 ans et lui 20. Quand on a su que les Allemands risquaient de l'emporter, ma mère a pris peur, surtout pour lui. On racontait qu'ils tuaient tout le monde en arrivant et qu'ils enrôlaient les jeunes dans l'armée allemande. Nous sommes donc partis relativement vite avec d'autres personnes qui habitaient notre quartier et qui avaient un petit camion. Ma mère a emporté un maximum de choses, des draps et des provisions.
Nous nous sommes rendus sans encombre dans le Loiret, où des amis pouvaient nous recevoir. Nous y sommes restés un peu, mais quand les choses se sont aggravées, nous sommes repartis. Ma mère et moi, nous sommes parties à bicyclette avec notre chien, un berger allemand. Nous avons alors connu les mitraillages sur la route. Mais le chien nous les signalait. Avant nous, il sentait arriver les avions et se jetait dans le fossé. Nous en faisions autant. Il faisait extrêmement chaud. Le chien a eu les pattes brûlées par le goudron, car il ne voulait pas marcher sur l'herbe. Des gens extrêmement gentils nous ont aidés en lui mettant les pattes dans l'eau chaude. Par contre, je me souviens très bien qu'un paysan nous a fait payer un verre d'eau. Il y a des gens qui profitaient de la situation. Au bout d'un moment, nous n'avions plus rien dans notre stock de nourriture et si vous vouliez manger, il fallait sortir de l'argent. Mais nous avons aussi été nourries à plusieurs reprises par des soldats français que nous avons croisés en route.
Nous étions aussi un peu perdues car nous venions de la ville. Pour ma mère, la campagne, c'était l'étranger. Ce voyage à vélo a duré une semaine jusqu'à Issoudun, dans l'Indre. C'est à ce moment-là que nous avons appris que les Allemands étaient déjà là. Nous avons fait demi-tour jusqu'au Loiret où nous avons retrouvé notre groupe de voisins, qui s'était fait voler le camion dans lequel se trouvait toutes nos affaires. Une fois revenues en région parisienne, nous n'avions plus rien du tout.
Née le 27 février 1928.
J'ai passé mon enfance à Joinville-le-Pont, près de Paris, où mes parents tenaient une alimentation générale. Quand l'armée allemande s'est rapprochée de la capitale, en juin, ils ont décidé de nous mettre à l'abri car on disait que les Allemands tuaient les enfants ou les mettaient à l'avant de leurs chars. Mon père a pris la Simca de mon oncle. Nous sommes partis avec lui, ma sœur, ma tante et mes deux cousins en direction du Sud. Ma mère est restée à Joinville. Nous prenions beaucoup de risques en roulant sur le bas-côté de la route pour dépasser les piétons et tous les autres véhicules. Le voyage a été rapide jusqu'à Poulaines, un petit village de l'Indre. Je crois que c'est le hasard qui nous a conduits là. Nous avons trouvé une petite ferme tenue par une femme seule qui a bien voulu nous accueillir.
Mon père est alors rentré vers Paris pour rejoindre ma mère. Nous sommes restés à la campagne jusqu'à fin août. Je garde un mauvais souvenir de cette période car j'ai attrapé un rhume des foins qui a duré un certain nombre d'années et qui est revenu à chaque printemps. J'ai aussi eu très peur en entendant au cours d'une nuit des chars allemands, mais pour le reste nous avons passé de bonnes vacances.
Mon père est ensuite revenu nous chercher pour nous faire passer la ligne de démarcation. C'est à ce moment-là que le destin de la famille de ma tante a basculé. Mon oncle, qui était mobilisé et qui était alors en zone libre, lui avait demandé de ne pas rentrer. Mais sa lettre est arrivée trop tard et elle est repartie avec nous. Elle et son mari ont été arrêtés en juillet 1942 car ils étaient juifs. Auraient-ils échappé à la déportation s'ils étaient restés en zone libre ? Nous ne le saurons jamais. Ils ont été assassinés à Auschwitz.
De notre côté, nous avons passé l'occupation à Joinville-le-Pont en portant l'étoile jaune. Nous avons dû abandonner notre boutique en raison de l'aryanisation mise en place par le régime de Vichy et nous avons dû partir vivre dans un autre pavillon. Mais nous avons eu la grande chance de ne pas être déportés alors qu'au moins 13 personnes de ma famille l'ont été.
Né le 4 mars 1935.
Nous habitions à Boulogne-Billancourt avec mes parents, mon frère et ma sœur. L'atmosphère devenait pesante. Les Allemands progressaient dans leur avancée vers Paris. Les pires choses étaient colportées sur leurs comportements, ils tuaient, pillaient, violaient, égorgeaient. Le bruit courait que les usines Renault, implantées à Boulogne, allaient être réquisitionnées, pour la fabrication d'armement allemand. La proximité de l'usine devenait dangereuse, la crainte d'attentats ou de bombardements obligea les écoles à fermer.
Mes parents décidèrent de partir et nous avions la chance de posséder une automobile. Le but était de s'éloigner de l'Est, sans savoir quel serait notre lieu de destination. La route fut longue, il y avait énormément de monde. L'ambiance dans la voiture était souvent très explosive. Comme tous les gamins, nous nous chamaillions. La première journée a été longue pour un kilométrage ridicule. Et la suite a été plus difficile. Il fallait trouver de l'essence et dans les fermes, nous trouvions à prix fort des œufs, du lait, des salaisons, de la volaille cuite. Le pain était devenu une denrée rare et chère. Le quatrième jour, certains avaient abandonné, trop fatigués. Alors que nous roulions plus vite, nous avons entendu derrière nous des avions qui arrivaient très vite au-dessus de nos têtes. Ils nous tiraient dessus à très basse altitude. Au bout de la colonne que nous formions avec les autres migrants, ils faisaient demi-tour et recommençaient à nous tirer dessus.
Après ce périple, dont je n'ai pas idée de la durée, nous nous sommes arrêtés dans un petit village breton. Mes parents ont loué un appartement. Les habitants étaient très gentils et compatissants lorsqu'ils ont appris ce que nous avions subi. Dans cette campagne bretonne, nous y avons trouvé la paix, la sérénité. Nous vivions une espèce d'état de grâce, loin de la guerre, c'est du moins le sentiment qui nous habitait. Je ne sais combien de temps dura notre séjour, dans ce hameau de quelques âmes. Nous profitions de cet état, comme entre parenthèses. J'ai peu de souvenirs de cette période, à part cette insouciance.
Mais l'approche des Allemands devenait réalité. Des chars avec la croix gammée sont passés sur la route. Des soldats allemands ont vérifié l'identité des habitants. Notre nom à consonance germanique les a amusés et a aidé à ce qu'ils nous laissent tranquilles, au grand soulagement des parents ! Ayant reçu par ailleurs des nouvelles de Paris, où il y régnait un calme apparent, mes parents décidèrent de rentrer. Le voyage a été comme un retour de vacances, sauf que la réalité était tristounette. Nous rencontrions des chars, des canons, des armes, des uniformes ennemis. Tout semblait arrêté, sans vie, morne, la peur se lisait sur les visages.