Harkis… Les oubliés 

Les harkis sont les Algériens qui ont choisi de combattre aux côtés de l’armée française durant la guerre d’Algérie (1954-1962).
Craignant les représailles du Front de libération nationale (FLN) après la signature des accords d’Évian, en mars 1962, environ 100 000 d’entre eux ont quitté l’Algérie pour s’installer dans le sud de la France. Certains ont été aidés par des soldats de l’armée française, d’autres par des « pieds-noirs ».
FRANCE 24 leur consacre un album souvenir.



© Crédits : FRANCE 24 - Textes : Tahar Hani - Réalisation Multimédia : Hussein Emara - Traduction : Moïna Fauchier Delavigne - Edition : Céline Curiol - Secrétariat de rédaction : Jean Baptiste Marot - Conception graphique : Emmanuelle Nicolas et Marine Tanguy - Développement : Mary Lou for codrops - Terry Prudent.

Qui sont les harkis ?

Les harkis sont les Algériens qui ont choisi de combattre le Front de libération nationale (FLN) aux côtés de l’armée française pendant la guerre d’Algérie (1954-1962).
Après les accords d’Évian qui ont mis fin au conflit et ouvert la voie à l’indépendance de l’Algérie le 18 mars 1962, environ 100 000 harkis et leurs familles sont partis se réfugier en France, craignant les représailles du FLN. L’armée française les a, en effet, désarmés et, dès avril, des massacres ont été commis sans que les autorités françaises n’interviennent. À leur arrivée sur le territoire français, les harkis et leurs familles ont été rapidement regroupés dans des camps.
Si, malgré les ordres, des officiers et des sous-officiers français ont aidé des milliers d’entre eux à traverser la Méditerranée, la grande majorité est restée en Algérie et des dizaines de milliers ont été assassinés.

Le Bachagha Boualem, un symbole des harkis

Fervent partisan de l’Algérie française, le bachaga Boualem demeure un symbole pour toute la communauté des harkis en France. Il a défendu sa vision de l’Algérie durant toute sa vie par un combat armé, mais aussi politique.
Né en 1906 à Souk Ahras, près de Constantine, il est issu d’une famille qui soutient la présence française en Algérie. Il est placé à l’école des enfants de troupes en France de 13 à 18 ans. De retour en Algérie, il intègre les tirailleurs algériens puis combat dans les rangs de l’armée française durant la Seconde Guerre mondiale. Cette campagne lui vaut plusieurs médailles et le grade de capitaine de réserve en 1946.

En 1956, il forme et dirige l’un des premiers bataillons de harkis, dans la région de l’Ouarsenis (nord-ouest de l'Algérie), en soutien à l’armée française contre le FLN. Pendant la guerre d’indépendance, il va perdre 17 membres de sa famille proche ainsi que l'un de ses fils.

Il assume par ailleurs des responsabilités politiques à partir de 1958, année au cours de laquelle il est élu député à l’Assemblée nationale française par les Algériens. De 1958 à 1962, il est aussi élu au poste de vice-président de l’Assemblée nationale à quatre reprises.

Après la signature des accords d’Évian, il se voit contraint à être rapatrié par l’armée française. Il s’installe avec sa famille dans le village de Mas-Thibert, à côté d’Arles, dans le sud-est de la France. Dès son arrivée, il œuvre pour permettre à de nombreux harkis de venir en France. Il achète aussi rapidement un peu de terrain et une maison afin de pouvoir offrir du travail aux familles de harkis qui viennent s’installer dans son village.

En 1962, il écrit un premier livre intitulé “Mon pays, la France” (éditions France-Empire), dans lequel il livre un témoignage de son combat pour défendre l’Algérie française et son amère déception de l’abandon de la France : “Le témoignage d’un Français moyen humilié, trompé, bafoué”. Il est décédé en 1982.

Des harkis témoignent

Rabah Soltani, Mohamed Habchi, Bouziane Ben Abdelkader, Ibrahim Sadouni… Tous ont été contraints de fuir l’Algérie après les accords d’Évian pour échapper aux massacres du FLN.

La majorité s’est installée dans le sud de la France.

Aujourd’hui, 51 ans après l’indépendance de l’Algérie, ils seraient encore quelque 9 000 anciens harkis à vivre dans l’Hexagone. Pour ces hommes âgés, l’amertume de l’exil reste vive et ils ne peuvent toujours pas retourner en Algérie pour mourir dans le pays de leurs ancêtres. Ils souffrent de vivre dans un pays qui refuse de les reconnaître comme des Français à part entière alors que leur pays d’origine les considère toujours comme des « traîtres » à la nation et leur refusent jusqu’à l’entrée sur le territoire.

Rabah Soltani

“Aujourd’hui, je rêve d’y retourner pour jeter un dernier coup d’œil à la terre de mes ancêtres et me recueillir sur les tombes de mes parents.”

“Je vivais entre deux feux : d’un coté le Front de libération nationale (FLN), de l’autre l’armée française. En 1955, j’ai choisi d’intégrer l’armée française pour laquelle j’ai travaillé comme chauffeur de camion. De 1957 à 1962, j’ai transporté des produits alimentaires pour les militaires depuis Annaba (nord-est de l’Algérie) jusqu’aux villes limitrophes avec la Tunisie. Mais même si j’étais dans l’armée, j’ai toujours refusé de porter une arme. En France, où je suis arrivé en 1962, j’ai continué à faire le même métier. J’ai été affecté dans une caserne proche de Calais (nord de la France) puis j’ai travaillé à Montpellier (sud de la France), dans les années 1970, comme technicien de surface dans un commissariat de police.

J’ai beaucoup voyagé au Maghreb, j’y cherchais l’ambiance orientale de mon enfance. Par contre, j’ai toujours eu peur de retourner en Algérie. Aujourd’hui, je rêve d’y aller pour jeter un dernier coup d’œil à la terre de mes ancêtres et me recueillir sur les tombes de mes parents.

Mais je crains de me faire refouler par la police des frontières en arrivant à l’aéroport de Constantine. En plus, ma famille algérienne m’a rejeté sous prétexte que j’avais choisi, à l’époque, de travailler pour l’armée française. Les gens de mon village aussi me considèrent comme un traître. Pourtant, je n’ai jamais fait de mal à quelqu’un et je n’ai tué personne. En 1977, des inconnus ont égorgé ma sœur dans sa maison, à Annaba. Aujourd’hui, il ne me reste plus qu’un frère au pays ; il a 60 ans et j’ai peur de mourir avant de l’avoir revu.”

Ibrahim Sadouni

“Oui je suis un harki, mais je ne suis pas un traître.”

“En 1975, j’ai reçu une proposition de travail de la compagnie pétrolière algérienne Sonatrach. J’ai donc acheté mon billet d’avion pour Alger. Dix ans après mon arrivée en France, j’étais heureux à l’idée de pouvoir retrouver le pays de mes ancêtres et de travailler pour une grande entreprise. Début août, j’ai pris l'avion. Pendant le vol, j’ai entendu plusieurs Algériens qui parlaient des harkis et de leurs enfants. Selon eux, les enfants de harkis devaient d’abord renier leurs parents avant de pouvoir retourner en Algérie. Cela m’a mis dans une angoisse terrible.

À l’aéroport d’Alger, j’ai présenté mon passeport français à un jeune douanier qui m’a demandé de le suivre dans le bureau d’un responsable. Après quelques questions, un autre fonctionnaire est entré et m’a demandé brusquement : “Pourquoi prétends-tu être français alors que tu es né en Algérie ?”. Je lui ai répondu que je vivais et travaillais en France, donc que j’avais un passeport français. Il m’a alors demandé : “Tu es un traître de harki ?”. J’ai répondu : “Oui, je suis un harki, mais je ne suis pas un traître”. Il a continué à m’interroger : “Combien de nos frères as-tu tué ?”. “Je n’ai jamais tué personne”, lui ai-je dit. “Tu avais un bâton alors, pas un fusil ? Tu as vendu ton pays et ta religion aux Français et maintenant tu veux revenir dans ce pays que tu as renié !” Je me suis senti tout à coup très triste et je lui ai dit : “Je suis prêt à le jurer sur le Coran, je n’ai jamais tué un seul Algérien”.

Il ne voulait rien entendre, il a pris mon passeport, et a craché dessus en disant : “Tu n’es pas musulman et tu vas rentrer tout de suite en France”.

J’ai ensuite attendu plusieurs heures dans une petite pièce avant de reprendre l'avion pour la France. Il faisait une chaleur étouffante et j’ai demandé un verre d’eau à un policier. Celui-ci m’a répondu mot pour mot : ”Tu es harki, tu ne mérites pas de boire l’eau pure d'Algérie. Retourne à ta place”. Dans l’avion du retour, le pilote m’a demandé pourquoi je rentrais si vite. Je lui ai juste répondu : “J’ai été refoulé parce que j’ai la nationalité française”.

Les enfants des harkis

Selon un rapport publié en 2007 par le Conseil économique et social, les enfants de harkis “ont connu, ou connaissent encore aujourd’hui, une exclusion sociale et économique”. De plus, “le traumatisme du rapatriement et les conditions de vie difficiles dans des structures isolées et coupées du reste de la société française n’ont fait qu’amplifier cette exclusion”.

Aujourd’hui, cette génération née en majorité dans des camps situés surtout dans le sud de la France attend toujours une reconnaissance morale de l’État français. Plusieurs dizaines d’associations de défense des droits des harkis et de leurs enfants ont été créées en France. En 1993, les enfants de harkis ont organisé leur première manifestation en vue d’attirer l’attention de l’État et des médias français sur leurs conditions de vie déplorables. Puis, en 2011, une marche de protestation a eu lieu entre Montpellier et l’Assemblée nationale, à Paris. Cependant, les effets de ce mouvement sont restés minimes.

Tahar, un fils du Bachagha Boualem

“Je ne rêve jamais de l’Algérie. Nous avons choisi de la quitter. Peut-être que nous n’avons pas fait le bon choix...

Je suis né à El-Attaf, une petite ville située dans le centre-ouest de l’Algérie, où j’ai vécu pendant 20 ans mais j’ai dû quitter l’Algérie avant d’avoir pu en découvrir les secrets.

Mon père s’est engagé en faveur de la France par amour pour son pays d’origine, l’Algérie. En effet, il était convaincu que l’Algérie ne pouvait se développer que dans le giron français. Il a donc constitué l’un des premiers bataillons de harkis. Il voulait éviter que la région de l’Ouarsenis, stratégique, ne tombe entre les mains des combattants du FLN.

Quand je suis arrivé en France, j’ai travaillé avec mon père qui accueillait les harkis par milliers. On leur offrait des tentes, des médicaments et des aides alimentaires et nous nous battions pour qu’ils puissent bénéficier d’une couverture sociale. C’était pour moi un devoir moral car ces harkis avaient tous combattu avec mon père pour que l’Algérie demeure française.

Aujourd’hui, 50 ans ont passé et je ne suis jamais retourné en Algérie. Pourquoi irais-je ? Pour souffrir encore et me remémorer notre douloureux passé ? En plus, l’Algérie n’a pas fait un seul pas dans notre direction. Au contraire, en juin 2000, lors de sa première visite en France, le président algérien Abdelaziz Bouteflika nous a comparés aux collaborateurs français sous l’occupation nazie.

Aujourd’hui, je n’attends rien non plus de la France. Je voudrais juste qu’elle reconnaisse qu’elle n’a pas aidé les harkis après leur fuite d’Algérie et qu’elle les a privés de leurs droits les plus élémentaires.”

Hacène Arfi

Fils de harki, Hacène Arfi a quitté l’Algérie en 1962, à l’âge de 5 ans. Il a passé toute son enfance et son adolescence dans le camp militaire de Saint-Maurice l’Ardoise, à côté de Nîmes. Selon lui, la vie dans le camp ressemblait à celle dans un hôpital psychiatrique, sauf que des enfants y vivaient aussi. Il accuse la France d’avoir opprimé ses parents et laissé les enfants de harkis sur le bord de la route, sans avenir.

Les familles ont commencé à quitter le camp de Saint-Maurice l’Ardoise à partir de 1971. En 1976, la dernière famille partait à son tour. L’État français a versé à chaque famille 10 000 francs pour qu’elles s’installent dans les villes avoisinantes. La plupart sont restées dans le sud de la France.

Hacène Arfi a milité durant des années pour défendre les droits des harkis et de leurs enfants.

Points de vue d’historiens sur les harkis

Gilles Manceron

Pour Gilles Manceron, historien et spécialiste de la guerre d’Algérie, “la France n’a toujours pas officiellement reconnu le rôle qu’ont joué les harkis durant la guerre d’Algérie, et ce malgré les promesses de Nicolas Sarkozy en 2007 et de François Hollande en 2012”.

“La seule chose accordée par la France est un jour de commémoration des harkis, le 25 septembre”, poursuit-il.

Selon lui, Kader Arif, ministre délégué en charge des Anciens Combattants, doit demander à Alger de permettre à tous les harkis de pouvoir circuler librement entre la France et l’Algérie.

“La France ressent une forme de gêne vis-à-vis des harkis, analyse-t-il. C’est pour cette raison qu’elle refuse d’ouvrir véritablement ce dossier, d’autant plus qu’elle craint de se voir contrainte de leur payer des dédommagements financiers. Pourtant, selon lui, la majorité des harkis ne demandent qu’une reconnaissance morale et symbolique.”

Mohamed Korso sur la position de l’Algérie

“La position officielle de l’État algérien face à la question des harkis est le silence”, affirme Mohamed Korso, professeur d’histoire à l’université de Bouzaréah, à Alger.

Selon lui, l’histoire des harkis reste douloureuse et les blessures de la guerre sont toujours présentes dans la mémoire du pays. La question de la trahison des harkis reste débattue malgré les cinquante années qui se sont écoulées depuis l’indépendance et certains Algériens pensent que les harkis se montraient même plus violents envers leurs compatriotes que les soldats français.

Quant aux supposées “listes noires” comportant des noms de harkis interdits d’entrée en Algérie dont disposeraient les consulats algériens de France, Mohamed Korso ne peut confirmer leur existence.

En revanche, selon cet historien, l’État algérien ne pose aucune condition au retour des enfants de harkis en Algérie. En effet, la réconciliation entre l’Algérie et les harkis pourrait justement se faire par leur intermédiaire.

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