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Sur les 1 038 Compagnons de la Libération, ils ne sont plus que 10 à être encore en vie, âgés de 96 à 103 ans. Cet ordre national, le deuxième après la Légion d’honneur, a été créé par le général de Gaulle au cours de la Seconde Guerre mondiale, le 16 novembre 1940. Il est destiné “à récompenser les personnes ou les collectivités militaires et civiles qui se seront signalées dans l'œuvre de libération de la France et de son Empireˮ.
La disparition des derniers Compagnons marquera la fin d’une période héroïque de l’histoire de France. Mais l’Ordre a pour mission de continuer à entretenir la flamme de la résistance et de transmettre à la nouvelle génération les valeurs de ces combattants qui ont dit “nonˮ.
Daniel Cordier,
le chancelier d’honneur
de l’Ordre de la libération
Daniel Cordier aujourd’hui © Stéphanie Trouillard, France 24
À 97 ans, Daniel Cordier est le chancelier d’honneur de l’Ordre de la Libération. Parmi les dix derniers Compagnons de la Libération, cet ancien secrétaire de Jean Moulin est le plus connu. Né en 1920 à Bordeaux, il s’engage très jeune en politique au sein de l’Action française. Admirateur de Charles Maurras, il baigne dans les idées monarchistes, nationalistes et antisémites.
En juin 1940, lorsque l’armée française est balayée par la Wehrmacht, il n’a pas encore 20 ans. Révolté par l’annonce de la demande d’armistice du maréchal Pétain, il décide de poursuivre le combat. Avec une quinzaine de volontaires, il embarque depuis Bayonne pour l’Afrique du Nord, mais le navire est dérouté vers l’Angleterre. Il s’engage alors avec ses camarades dans la “Légion de Gaulleˮ. Après s’être formé dans un bataillon de chasseurs, il est finalement affecté au service “Actionˮ du Bureau central de renseignements et d'action (BCRA), les services secrets de la France libre. En juillet 1942, il est finalement parachuté près de Montluçon. Quelques jours plus tard, il rencontre pour la première fois Rex, alias Jean Moulin, représentant du général de Gaulle et délégué du Comité national français, qui l'engage pour organiser son secrétariat à Lyon.
Daniel Cordier en juillet 1940, en Angleterre. © Musée de l’Ordre de la Libération
Après l'arrestation de son “patronˮ le 21 juin 1943 à Caluire, près de Lyon, Daniel Cordier poursuit sa mission en zone nord. Pourchassé par la Gestapo, il s'évade par les Pyrénées. Interné en Espagne, il est de retour en Angleterre fin mai 1944, où il est nommé chef de la section des parachutages d'agents du BCRA.
La Croix de la Libération lui est décernée le 20 novembre 1944 pour le motif suivant : “Secrétaire de la délégation de mai 1942 à janvier 1944. A manifesté dans ces fonctions des qualités de dévouement et de courage hors pair. Toujours sur la brèche, il s’est au cours de cette longue mission, dépensé sans compter et n’a cessé de se signaler par son énergie tenace, son abnégation, son esprit de sacrifice et son sang-froidˮ.
Après la guerre, Daniel Cordier consacre sa vie à la peinture et commence une collection d'art contemporain. Depuis le début des années 1980, Daniel Cordier s'est fait historien pour défendre la mémoire de Jean Moulin.
Le décret portant attribution de la Croix de la Libération à Daniel Cordier
“La liberté est le soleil de la vieˮ
Les Compagnons :
des hommes et des femmes
de tous horizons
Au sein de l’Ordre de la Libération, les Compagnons se démarquent par des parcours très différents. Parmi les 1 038 personnes décorées, on trouve des étudiants, des militaires, des ingénieurs, des paysans, des industriels, des hommes de lettres, des diplomates, des ouvriers, des membres du clergé, des tirailleurs africains, des magistrats ou encore des médecins. Certains sont célèbres comme le maréchal Leclerc, Jean Moulin, Berty Albrecht ou Pierre Brossolette, tandis que d’autres sont des héros inconnus. Mais la grande majorité se distingue par un engagement précoce dans la Résistance.
“Ce sont des pionniers de la Résistanceˮ
Le parcours de
cinq Compagnons
de la Libération
Le général Koenig et le colonel Masson à Bir-Hakeim en 1942. © Musée de l’Ordre de la Libération
L’Ordre de la Libération compte une proportion importante de militaires. Sept cent cinquante Compagnons portaient l'uniforme au moment où la Croix de Libération leur a été attribuée. Parmi eux, plus de 80 officiers généraux amiraux, et trois maréchaux : Pierre Koenig, Philippe Leclerc de Hauteclocque et Jean-Marie de Lattre de Tassigny.
Ancien combattant de la Première Guerre mondiale, le capitaine Koenig est au Maroc lorsque éclate la seconde en septembre 1939. Il quitte l'Afrique du Nord en février 1940, et prend part à l'expédition de Norvège. De retour en Bretagne le 16 juin 1940 avec le corps expéditionnaire et devant l'impossibilité de reprendre le combat sur le sol français, il embarque avec quelques officiers et arrive en Angleterre, où il se met aux ordres du général de Gaulle.
Promu au grade de chef de bataillon, il joue un rôle prépondérant dans le ralliement du Gabon, en novembre 1940. Début 1941, promu colonel, il participe à la campagne de Syrie. Devenu général de brigade, il combat en Libye, à Halfaya (décembre 1941 et janvier 1942), à Mechili (février 1942) et Bir-Hakeim (février-juin 1942), en qualité de commandant de la 1re brigade française libre. Résistant aux attaques italo-allemandes menées par le général Rommel pendant 14 jours et tenant coûte que coûte la position de Bir-Hakeim pour permettre à la VIIIe armée britannique de se réorganiser à Alexandrie, Koenig réussit parfaitement sa mission, malgré une infériorité numérique flagrante. Il parvient à ramener avec lui les trois quarts de ses hommes dans la nuit du 10 au 11 juin 1942, à travers les champs de mines et les positions ennemies.
Lion en peluche offert par les Britanniques au général Koenig après la victoire de Bir-Hakeim © RMN
Le général Koenig participe ensuite à la bataille d'El-Alamein en octobre 1942, puis à la campagne de Tunisie (avril-mai 1943) à la suite de laquelle il est promu général de division. Le 1er août 1943, il prend les fonctions de chef d'état-major adjoint à Alger et y opère la fusion entre les troupes d'Afrique du Nord et celles de la France libre.
En mars 1944, il est nommé délégué du Gouvernement provisoire de la République française auprès du général américain Eisenhower. Promu général de corps d'armée le 28 juin 1944, il devient Gouverneur militaire de Paris le 25 août suivant et le reste jusqu'à la fin des hostilités. Pierre Koenig a été élevé à la dignité de maréchal de France à titre posthume par décret du 6 juin 1984.
Marie Hackin en uniforme des volontaires féminines. © Musée de l’Ordre de la Libération
Jusqu’à la forclusion de l'Ordre en janvier 1946, le décret mettant fin à l’attribution de la Croix de la Libération, sur les 1 038 Compagnons, six femmes seulement ont été décorées :
● Berty Albrecht, cofondatrice du mouvement Combat, morte à la prison de Fresnes en 1943.
● Laure Diebold, agent de liaison du réseau Mithridate et secrétaire de Jean Moulin, déportée, libérée en 1945 par les Américains.
● Marcelle Henry, du réseau d'évasion VIC, morte à son retour de déportation.
● Simone Michel-Lévy, de la résistance P.T.T., morte en déportation.
● Émilienne Moreau-Évrard, héroïne de la guerre 1914-18, agent du réseau Brutus.
● Marie Hackin, chargée de mission pour la France libre avec son mari, disparue en mer en 1941.
Cette proportion très faible ne reflète pas la réalité. Dans les faits, les femmes représentaient 10 à 20 % des effectifs résistants, selon les estimations.
Marie Hackin, née Parmentier, est l’une de ces héroïnes. Archéologue, elle a fait ses études à Paris, à l’école du Louvre. En septembre 1928, elle épouse Joseph Hackin, archéologue et philologue, conservateur au musée Guimet. Dès lors, elle est étroitement et remarquablement associée aux recherches de son mari, aussi bien dans le cadre de ses missions en Orient que dans ses travaux scientifiques au musée.
Insigne de coiffure des volontaires françaises, probablement dessiné par Marie Hackin © Musée de l’Ordre de la Libération/photo A. Roiné
De 1929 à 1940, le couple participe à de nombreuses fouilles en Afghanistan. Marie Hackin dirige notamment l’un des deux chantiers de fouilles du site de Begram. En septembre 1939, son mari est mobilisé comme capitaine, puis comme commandant, attaché à la légation de France à Kaboul. Refusant l'armistice de juin 1940, les époux Hackin adressent, le 6 juillet, un message d'adhésion au général de Gaulle, puis rejoignent Londres en octobre.
Engagée dans les Forces françaises libres avec le grade de sous-lieutenant, Marie Hackin prend part à l'organisation du Corps féminin de la France libre. Désignée pour accompagner son mari, chargé du Département des Affaires extérieures, dans une longue mission en Inde, elle embarque le 20 février 1941. Le cargo qui les transporte est torpillé le 24 février. Les époux Hackin disparaissent en mer, au large des îles Féroé.
Georges Koudoukou dans les années 1930. Photo prise pendant un séjour en métropole. © Musée de l’Ordre de la Libération
Le décret du 29 janvier 1941 prévoyait que les étrangers ayant rendu des services importants à la cause de la France libre pourraient recevoir la Croix de la Libération, et seraient considérés comme membres de l'Ordre. Au total, 72 étrangers (ou Français nés étrangers), de 25 nationalités différentes, ont été faits Compagnons de la Libération.
Le Centrafricain Georges Koudoukou fait partie de ceux qui ont payé de leur vie leur engagement pour la France. Né en 1894 à Kaga-Bandoro, ce cultivateur de profession s’engage dans l’armée en 1916, en pleine Première Guerre mondiale. La Centrafrique est alors colonie française. En 1919, il s'engage à nouveau pour trois ans et est promu caporal en avril 1920.
Affecté à la 9e compagnie du 16e régiment de tirailleurs sénégalais (16e RTS), il prend part comme sergent aux opérations du Maroc en 1925. Muté ensuite au 12e RTS, Georges Koudoukou séjourne en métropole, à La Rochelle, de 1929 à 1931, avant d'être affecté à Bangui, au bataillon de tirailleurs de l'Oubangui-Chari, qui deviendra l’actuelle République centrafricaine.
Extrait de décret du 9 septembre 1942 portant attribution de la Croix de la Libération au sous-lieutenant Koudoukou © Musée de l’Ordre de la Libération
Le 28 août 1940 à Bangui, alors qu’il est adjudant-chef, il se rallie à la France libre entraînant derrière lui la troupe indigène de la garnison. Le 4 janvier 1941, il part pour le front du Moyen-Orient. Il prend part à la campagne de Syrie et aux opérations de police dans l'Euphrate avec sa compagnie, du 7 juin à la mi-novembre 1941.
Promu au grade de sous-lieutenant le 27 décembre 1941, il participe ensuite à la campagne d'Égypte et de Cyrénaïque à partir du 4 janvier 1942 et combat sur la position de Bir-Hakeim du 27 mai au 10 juin 1942, date à laquelle il est grièvement blessé par un éclat d'obus. Amputé d'une jambe sur place, il est évacué dans la nuit du 10 au 11 juin. Quelques jours plus tard, vraisemblablement le 15 juin 1942, le sous-lieutenant Koudoukou décède des suites de ses blessures dans un hôpital d'Alexandrie.
Sa majesté Sidi Mohammed ben Youssef, à Rabat, au Maroc, en 1946. © Musée de l’Ordre de la Libération
Les Compagnons comptent aussi dans leurs rangs des étrangers très célèbres : le général Dwight Eisenhower, Sir Winston Churchill, George VI, roi d’Angleterre, et Mohammed V, sultan du Maroc.
Ce dernier a été fait Compagnon par le Général de Gaulle en 1945 en reconnaissance par la France de sa solidarité durant la Seconde Guerre mondiale. À l'annonce de l'armistice de 1940, Mohammed V prend immédiatement position et prononce ces paroles: "Si la France était un petit pays de cinq ou six villes, si l'histoire du peuple français ne datait que d'une cinquantaine d'années, nous aurions des craintes justifiées pour votre avenir, mais votre pays étant l'immense et riche France que je connais si bien et l'histoire du peuple français étant cette histoire qui force l'admiration, ce serait un crime que de douter des destinées de la France".
Pendant le conflit, la position de Mohammed V est pourtant délicate. Le sultan doit à la fois exprimer les désirs du peuple marocain, assurer l'avenir du pays, mais aussi garder avec la France le contact qu'il juge nécessaire à l'évolution future du Maroc, alors sous protectorat français. N'ayant entre les mains qu'un pouvoir réel très réduit, il jouit cependant d’une grande popularité. La défaite militaire de 1940 a affaibli l'image de la France, ce qui permet au sultan de montrer face au résident général, Charles Noguès, une certaine indépendance. Il s'oppose notamment à l'application à l'égard des juifs marocains de la législation antisémite du gouvernement de Vichy.
En 1943, après le débarquement des forces américaines en Afrique du Nord, Casablanca abrite une grande conférence alliée. Le président Roosevelt lui promettant l'indépendance, Mohammed V réalise ce que pourrait lui offrir une place dans le camp des vainqueurs. Mais les années 1943-1944 voient l'accélération des mouvements nationalistes et des manifestations éclatent. Elles tournent à l'émeute le 28 janvier 1944. Ce même jour, le Comité français de la Libération nationale refuse de voir mis en cause le traité de protectorat. Mohammed V renonce alors, momentanément, à toutes velléités d'indépendance.
Le général de Gaulle décore sa majesté Sidi Mohammed ben Youssef de la Croix de la Libération le 19 juin 1945. © Musée de l’Ordre de la Libération
En juin et juillet 1945 le sultan est en France, convié par le général de Gaulle. Il assiste au défilé des troupes de la France combattante, le 18 juin. Le lendemain, le général, en tant que président du Gouvernement provisoire de la République, lui décerne la Croix de la Libération. Durant la Seconde Guerre mondiale, les troupes marocaines (les goumiers, régiments de tirailleurs ou de spahis) se sont aussi illustrées lors des combats pour la libération de la France
Le “in memoriamˮ publié après la mort d’Henri Fertet © Musée de l’Ordre de la Libération
Les Compagnons de la Libération se démarquent par leur extrême jeunesse. Plus de 10 % d’entre eux n'ont pas 20 ans au moment de la déclaration de guerre de septembre 1939. Le plus jeune d’entre eux, Mathurin Henrio, un résistant breton, n’avait que 14 ans quand il a été abattu par les Allemands, en février 1944.
Henri Fertet, un lycéen du Doubs, s’est lui aussi illustré par un engagement précoce. Élève intelligent et appliqué, passionné d'histoire et d'archéologie, il intègre, pendant les vacances de l'été 1942, un groupe de résistance dirigé par Marcel Simon, jeune agriculteur de 19 ans. En février 1943, constitué d'une trentaine de membres, le groupe intègre l'organisation des Franc-tireurs et Partisans (FTP) et devient le Groupe Guy Môcquet (en hommage au plus jeune des fusillés de Châteaubriant, en octobre 1941), qui s'organise rapidement dans la lutte clandestine.
Henri Fertet participe comme chef d'équipe à trois opérations. D'abord à l'attaque du poste de garde du Fort de Montfaucon, près de Besançon, le 16 avril 1943, pour s'emparer d'un dépôt d'explosifs. Puis, le 7 mai, c’est la destruction d'un pylône à haute tension à Châteaufarine. Enfin, le 12 juin 1943, sur la route entre Besançon et Quingey, il prend part à l'attaque d’un commissaire des douanes allemand dans le but de lui prendre son arme, son uniforme et les papiers qu'il transporte. Henri Fertet le blesse mortellement, mais l'arrivée d'une moto les empêche de se saisir des documents.
Adieu, la mort m'appelle. Je ne veux ni bandeau, ni être attaché. Je vous embrasse tous. C'est dur quand même de mourir.
Mille baisers. Vive la France.
Un condamné à mort de 16 ans
H. Fertet
Activement recherchés, de nombreux membres du groupe sont arrêtés à partir de juin 1943. Les Allemands débarquent le 3 juillet 1943 chez les parents d’Henri Fertet, à Besançon. Il est conduit en cellule à la prison de la Butte. Jugé par un tribunal de guerre allemand le 18 septembre 1943, le plus jeune des prévenus est condamné à mort.
Après 87 jours d'emprisonnement et de torture, Henri Fertet, âgé de 16 ans, est fusillé à la Citadelle de Besançon le 26 septembre 1943 avec 15 de ses camarades. Dans une dernière lettre à ses parents, il écrit : "Je meurs pour ma patrie. Je veux une France libre et des Français heureux. Non pas une France orgueilleuse et première nation du Monde, mais une France travailleuse, laborieuse et honnête. Que les Français soient heureux, voilà l'essentiel. […] Adieu, la mort m'appelle, je ne veux ni bandeau ni être attaché. Je vous embrasse tous. C'est quand même dur de mourir. Mille baisers. Vive la France. Un condamné à mort de 16 ans. Henri Fertet."
Quel avenir pour l’Ordre de la Libération ?
Le musée de l’Ordre de la Libération, aux Invalides, à Paris © Stéphanie Trouillard, France 24
Au Mont-Valérien, le mémorial de la France combattante, une place vide attend d’accueillir dans la crypte la dépouille du dernier Compagnon de la Libération. Son inhumation donnera lieu à une grande cérémonie.
Alors que ces derniers résistants sont en train de disparaître, l’Ordre prépare aujourd’hui l’avenir. Il a notamment pour mission de continuer à transmettre le témoignage de “ceux qui ont dit nonˮ aux générations futures. En l’absence de témoins directs, l’accent est désormais mis sur les missions pédagogiques et culturelles afin de conserver la mémoire de l’Ordre. Le musée de l’Ordre de la Libération, aux Invalides, à Paris, a ainsi été restauré récemment pour présenter au mieux le parcours remarquable des 1 038 Compagnons.
“Une page se tourneˮ