Quel bilan pour l'accord de Paris ?
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L’image est restée dans toutes les têtes : Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères de la France – pays hôte de la COP21 –, frappe avec son petit marteau en conclusion de la conférence mondiale sur le climat, en décembre 2015. Après de longues nuits de tractations, 195 pays ont fini par se mettre d’accord sur un objectif : contenir le réchauffement climatique "nettement" en-dessous de +2 °C d’ici à 2100 et si possible à +1,5 °C par rapport aux températures de l’ère préindustrielle.

Près de six ans plus tard, alors que la COP26 s’apprête à démarrer à Glasgow (31 octobre-12 novembre), l’euphorie est passée. Les signataires de l’accord de Paris devaient remettre à l’automne 2020 leurs feuilles de route respectives, officiellement appelées "contributions déterminées au niveau national" (CDN). Malgré une année supplémentaire pour les rédiger en raison de la pandémie de Covid-19 et ainsi améliorer leurs engagements, transformer les promesses en actes concrets semble encore trop difficile pour la plupart des nations.

Le réchauffement climatique, lui, se poursuit. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a une nouvelle fois dressé un constat accablant et inquiétant dans son dernier rapport, publié le 9 août : la planète devrait atteindre le seuil de +1,5 °C par rapport à l'ère préindustrielle autour de 2030, soit dix ans plus tôt que la précédente estimation du Giec en 2018. Le groupe d’experts prévient également : la précédente série d’engagements des signataires de l’accord de Paris, pris dans la foulée de la COP21, conduirait à un monde à +3°C s'ils étaient respectés. Au rythme actuel, le monde se dirige plutôt vers +4 °C ou +5 °C.

Le rapport du Giec constitue une "alerte rouge pour l’humanité", a affirmé le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Il s’agira donc, à Glasgow, d’affronter la réalité. Les pays signataires devront y présenter des CDN révisées. De leur niveau d’exigence dépendra le futur de l’accord de Paris, dont le bilan est aujourd’hui mitigé.

François Gemenne, membre du Giec et spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement









Une rue inondée de Amta, ville située à une soixantaine de kilomètres de Calcutta, en Inde, le 5 août 2021. Crédit : Dibyangshu Sarkar, AFP

La neutralité carbone, nouveau standard des engagements climatiques

Les actes concrets ont beau se faire attendre, l’accord de Paris n’en reste pas moins une étape importante dans la lutte contre le réchauffement climatique. Lors de la COP21, la communauté internationale formulait un objectif clair pour limiter le réchauffement climatique de la planète à moins de 2 °C par rapport au niveau de l’ère préindustrielle et l’inscrivait pour la première fois dans un traité international.

Depuis, l’accord de Paris fait référence en matière d’action climatique et de nombreux États, villes ou entreprises vont même désormais plus loin en affichant un objectif de neutralité carbone à horizon 2050.

"L'accord de Paris génère un effet domino positif. L'impact sur l'économie réelle n'est évidemment pas suffisant, mais l'Union européenne a provoqué un mouvement important en Chine, aujourd'hui rejoint par les États-Unis", se félicitait l’ancienne négociatrice en chef de l’accord de Paris, Laurence Tubiana, lors d’une audition au Sénat, le 27 janvier 2021, soulignant le chemin parcouru depuis 2015 pour que l'objectif de zéro émission nette devienne la norme.

Les trois plus gros émetteurs de gaz à effet de serre (GES) se sont ainsi convertis à ce nouvel objectif. À la surprise générale, la Chine a annoncé en septembre 2020, lors de l’Assemblée générale des Nations unies, son intention de parvenir à une neutralité carbone avant 2060. Les États-Unis, qui étaient sortis de l’accord de Paris sous Donald Trump avant de le réintégrer avec Joe Biden, ont eux aussi annoncé, en avril 2021, vouloir viser la neutralité carbone à l'horizon 2050. Puis l’Union européenne a fait de même en actant en juin cet objectif dans sa loi climat.

Ce nouvel eldorado est par ailleurs pris au sérieux par les tribunaux, qui ont de plus en plus souvent à juger des "contentieux climatiques". Selon un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), publié le 26 janvier 2021, le nombre des poursuites judiciaires relatives au changement climatique a nettement augmenté au cours des quatre dernières années. Il a presque doublé depuis un dernier rapport datant de 2017, pour s’élever désormais à 1 550 dans 38 pays. Au 1er juillet 2020, quelque 1 200 de ces affaires avaient été déposées aux États-Unis et 350 dans le reste du monde.

En France, l’association "Notre Affaire à Tous" vient de faire condamner l’État français, le 14 octobre, pour ses engagements non tenus en matière de baisse des émissions de gaz à effet de serre. Le gouvernement a jusqu’au 31 décembre 2022 pour revoir sa copie : le déficit par rapport aux objectifs a été quantifié par les juges à 15 millions de tonnes d’équivalent CO2.

Un ours polaire testant la solidité de la glace dans l'Arctique en 2016. Crédit : Mario Hoppmann, European Geosciences Union, AFP

Des mises en application concrètes repoussées à plus tard

La condamnation de la France pour l’insuffisance de son action climatique à deux semaines du début de la COP26 tombe comme une piqûre de rappel. La décision souligne toute la difficulté que les États signataires de l’accord de Paris éprouvent pour mettre en œuvre leurs engagements. Car six ans après la COP21, force est de constater que le virage vers une diminution drastique des émissions de gaz à effet de serre n’a pas été pris.

"Le monde se dirige toujours vers une augmentation des températures à hauteur de 3 °C au cours de ce siècle : c’est bien au-delà des objectifs de l’accord de Paris", constate le rapport 2020 du PNUE sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions.



Et pour cause, l’année 2020, marquée par une intensification des incendies, des sécheresses, des tempêtes et de la fonte des glaciers, a été l’une des années les plus chaudes jamais enregistrées – avec 2016 et 2019 – selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM).

Malgré ces effets très visibles du changement climatique, les pays signataires de l’accord de Paris prennent leur temps pour amorcer une décrue drastique de leurs émissions de GES. Les objectifs restent élevés, mais toujours repoussés à plus tard. Ainsi, entre 2015 et 2021, les émissions mondiales ont continué d’augmenter, pour atteindre en 2019 le chiffre record de 52,4 milliards de tonnes (ou gigatonnes) d’équivalent CO2, et même 59,1 en incluant les émissions dues au changement d’affectation des terres.

Surtout, alors que de plus en plus de pays annoncent viser la neutralité carbone pour le milieu du siècle, la réalité de leurs actions concrètes pour réduire leurs émissions de GES contraste nettement avec leurs ambitions affichées. "Il y a une incohérence entre les niveaux d’émissions prévus par les politiques actuelles, ceux envisagés par les CDN actuelles d’ici à 2030 et, plus important encore, ceux nécessaires pour atteindre les objectifs de zéro émission nette d’ici à 2050", souligne le rapport 2020 du PNUE.

Ainsi, en 2030, pour atteindre l’objectif de 2 °C de l’accord de Paris, les émissions annuelles devront être inférieures de 15 milliards de tonnes (ou gigatonnes) d’équivalent CO2 à celles prévues au titre des CDN non conditionnelles actuelles – c'est-à-dire les CDN qui pourront être mises en œuvre sans aide financière extérieure. Et pour atteindre l’objectif de 1,5 °C, celles-ci devront être inférieures de 31 milliards de tonnes (ou gigatonnes) d’équivalent CO2.

L’approche de la COP26 n’a pas suscité davantage d’entrain au sein de la communauté internationale pour mettre les actes en conformité avec les promesses. Selon une analyse publiée en septembre 2021 par le Climate Action Tracker, qui scrute les politiques environnementales de 37 pays représentant 81 % des émissions de GES dans le monde, la Gambie est l’unique État étudié à mener une politique conforme aux objectifs de l’accord de Paris. D’autres pays – comme le Royaume-Uni, le Costa Rica, le Kenya ou le Maroc – s’en approchent, tandis que les efforts de l’Union européenne, du Japon, des États-Unis ou de l’Afrique du Sud sont jugés "insuffisants". Les actions de l’Inde, quatrième plus gros émetteur mondial, et de la Russie, cinquième plus gros émetteur mondial, sont quant à elles jugées respectivement "très insuffisantes" et "extrêmement insuffisantes".



Le rapport de synthèse de l’ONU sur les CDN, publié le 17 septembre, confirme l’analyse du Climate Action Tracker. Il note que les feuilles de route soumises par les 191 parties de l’accord de Paris impliquent une "augmentation considérable" des émissions mondiales de GES en 2030 par rapport à 2010, de l’ordre de 16 %. Or, pour Patricia Espinosa, secrétaire exécutive d’ONU Climat, cette augmentation "est un énorme sujet de préoccupation". "Elle contraste fortement avec les appels lancés par la science en faveur d'une réduction rapide, soutenue et à grande échelle des émissions afin de prévenir les conséquences climatiques les plus graves et les souffrances, notamment des plus vulnérables, dans le monde entier", ajoute-t-elle.

Par ailleurs, de nombreuses feuilles de route soumises par des pays en développement contiennent des engagements conditionnels, qui ne pourront être mis en œuvre qu’avec une aide financière extérieure. Cette question du financement des objectifs climatiques et de l’aide apportée par les pays du Nord en direction des pays du Sud est un autre aspect crucial de l’accord de Paris. Elle sera l’un des enjeux de la COP26.

Un homme debout au milieu de bateaux échoués sur le fond asséché du lac Chilwa, le 18 octobre 2018, au Malawi. Crédit : Amos Gumulira, AFP

L’enjeu crucial du financement des objectifs climatiques

Lors de la COP15 de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) à Copenhague, en 2009, les pays développés s’étaient engagés à un objectif collectif de mobilisation de 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 pour l’action climatique dans les pays en développement. Douze ans ont passé, mais les 100 milliards n’ont toujours pas été atteints.

Selon un rapport de l’OCDE publié en septembre 2021, le financement climatique en faveur des pays en développement a atteint 79,6 milliards de dollars en 2019, soit un déficit de plus de 20 milliards de dollars. Et les trois quarts de ces financements concernent l’atténuation du changement climatique – tout ce qui concerne la réduction des émissions de GES, comme le développement des énergies renouvelables. Pourtant, l’accord de Paris stipulait précisément qu’un équilibre était nécessaire entre financements destinés à l’atténuation et à l’adaptation – tout ce qui permet de faire face aux conséquences du changement climatique, comme la construction de digues pour empêcher des inondations.

Autre motif d’inquiétude : 71 % de ces financements sont fournis sous forme de prêts, selon l’ONG Oxfam, qui affirme que le volume de financements climat sous forme de dons n’a presque pas changé, passant d’environ 11 milliards de dollars en 2015-2016 à 12,5 milliards de dollars en 2017-2018.

"Il nous apparaît particulièrement choquant que des pays pauvres, qui ont historiquement peu contribué au réchauffement climatique, se retrouvent en situation de devoir emprunter et alourdir leur dette avec des taux exorbitants", regrette Armelle Le Comte, responsable du plaidoyer climat à Oxfam France.



Selon elle, la question du financement est "l’un des piliers de l’accord de Paris qui cimente la confiance entre les pays du Nord et les pays du Sud" et il sera très certainement beaucoup question de justice climatique à la COP26 dans les discours des dirigeants des pays en développement.

"Des milliards sont sortis pour aider les entreprises au moment de la pandémie, on a su trouver l’argent. Il faudrait faire le même effort pour l’urgence climatique. Les pays développés doivent s’entendre sur la définition d’une nouvelle voie pour les financements climat après 2020", ajoute Armelle Le Comte.

La question du financement est aussi celle des choix d’investissements opérés par les États et les investisseurs privés. La pandémie de Covid-19 et les plans de relance qui ont suivi auraient pu permettre de changer d’orientation, mais les gouvernements ont largement investi dans les énergies fossiles, orientant plus de 300 milliards de dollars de nouveaux fonds vers les activités liées aux combustibles fossiles, selon le rapport 2021 du PNUE sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de production de gaz et de pétrole.

Le même rapport dresse un constat sans appel : les gouvernements du monde entier prévoient de produire en 2030 environ 110 % de combustibles fossiles de plus que la quantité compatible avec une limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C, et 45 % de plus que ce qui serait compatible avec un réchauffement à 2 °C.