Les ouvriers du textile cambodgiens travaillent à la chaîne de 7h du matin à 18h, six jours par semaine. Pour gagner quelques dollars de plus, beaucoup choisissent de travailler sept jours sur sept et d’allonger leur journée de travail. En janvier, ils ont obtenu du gouvernement qu’il passe le salaire minimum à 100 dollars (72 euros), loin des 160 dollars (116 euros) qu’ils demandaient.
La plupart des ouvriers de Phnom Penh sont venus de province pour chercher du travail. Ils vivent dans des lotissements miséreux, aux abords des usines, où ils partagent des chambres exiguës à 4 ou 6 pour 35 dollars par mois. Les prix ont flambé ces dernières années dans la capitale cambodgienne, où un kilo de porc coûte aujourd’hui 5 dollars.
Des dizaines de milliers d’ouvriers du textile ont fait grève pendant deux semaines entre décembre 2013 et janvier 2014. Un mouvement social durement réprimé par la police qui a tiré à balles réelles sur les manifestants, faisant au moins 3 morts.
Los Sao a été touché par une balle alors qu’il fuyait la police. La scène a été filmée par Radio Free Asia. Il n’a pour l’heure reçu aucune compensation auprès de la justice cambodgienne.
San Sok Chen travaillait pour l’usine Suntex, sous-contractant de la marque H&M jusqu’en décembre 2013. Lors des manifestations, il a été passé à tabac par des policiers et laissé pour mort sur le bord de la route. Il souffre aujourd’hui encore de maux de têtes qui l’empêchent de reprendre le travail. Il a enregistré un message pour demander le soutien d’H&M. La marque européenne a rétorqué que son contrat avec l’usine Suntex ayant expiré quelques jours avant ces incidents, elle n’avait aucune responsabilité envers son ancien ouvrier.
Vingt-trois ouvriers et syndicalistes ont été emprisonnés lors des incidents de janvier. Ils sont accusés d’incitation à la violence. Lors de leur passage devant la cour d’appel de Phnom Penh le 11 février, ils n’ont même pas été autorisés à se présenter devant le juge. La cour a signifié à leurs avocats qu’ils n’obtiendraient pas de libération sous caution car leurs clients constituaient un danger pour la société cambodgienne.
Après l’annonce de la décision du tribunal, les familles des prévenus et quelques activistes ont tenté de se rassembler devant le palais royal. La police antiémeute, ainsi que des agents de sécurité non identifiés, casqués et armés de bâtons, ont dispersé rapidement les manifestants. D’après notre Observateur, lorsque les "Daft Punk" arrivent, mieux vaut partir vite car ils ne discutent pas avant de frapper.
Les marques internationales passent par des sous-traitants pour produire leurs vêtements. Ces usines, la plupart chinoises ou sud-coréennes, prennent en charge toutes les étapes de fabrication, de la confection jusqu’à l’emballage et l’étiquetage des produits. Environ un tiers du prix de vente leur revient, les deux tiers restants allant aux grandes marques.
Van Sou Ieng est le président de l’Association des usines de confection textile du Cambodge, la Gmac. Multimillionnaire cambodgien d’origine chinoise, il est propriétaire de deux usines de textile et de plusieurs hôtels. Il nous reçoit dans le country club qu’il a fait construire en plein cœur de Phnom Penh. Il reconnaît que le Cambodge bénéficie d’un avantage comparatif important par rapport aux autres ateliers du monde car ses produits sont exonérés de taxes lors de leur exportation vers l’Union européenne. En revanche, il considère que les ouvriers cambodgiens sont "fainéants". S’ils veulent gagner plus, une seule solution selon lui : travailler plus.
Interview de Van Sou IENG : première partieLe gouvernement cambodgien a décidé une augmentation du salaire minimum dans le textile de 80 à 100 dollars par mois. Il a ensuite choisi la méthode forte pour mater le début de révolte des ouvriers. Certaines grandes marques, comme H&M, affirment pourtant être prêtes à augmenter davantage les salaires et pointent du doigt le gouvernement cambodgien qui bloquerait les négociations. Elles dénoncent à demi-mot la corruption de l’État qui rendrait leur investissement au Cambodge plus coûteux qu’il n’y paraît.
Bong Savan, sous-secrétaire d’État chargé des Mouvements sociaux, accepte une interview. Il estime que l’augmentation ne peut être que progressive et balaie d’un revers de main les accusations de corruption. Il estime par ailleurs que la police a réagi de manière appropriée en janvier dernier. Elle faisait face à des protestataires qui menaçaient la "stabilité du pays" et les intérêts des investisseurs internationaux.
Nous avons demandé des interviews à trois des principales marques présentes au Cambodge : Adidas, Gap et H&M. Aucune n’a souhaité nous répondre ou nous autoriser à visiter ses usines. Nous souhaitions notamment montrer aux responsables de H&M le message vidéo enregistré par l’ouvrier de leur sous-contractant tabassé en janvier. Et leur demander pourquoi un groupe faisant près de 700 millions d’euros de bénéfice annuel ne parvient pas à augmenter les salaires de ses ouvriers. Face au refus d’H&M de nous rencontrer, nous décidons de nous rendre, sans rendez-vous, à son bureau de Phnom Penh.
Notre tentative de rencontrer H&MLes grandes marques, les usines, le gouvernement… Tous se renvoient la balle pour justifier le blocage des salaires alors que tous font des profits considérables grâce à cette industrie. On demande aux ouvriers cambodgiens d’attendre, de courber l’échine et d’accepter la maigre augmentation obtenue en janvier. Moses, notre Observateur, est pourtant loin de désespérer. Pour la première fois, les petites mains du Cambodge ont relevé la tête et fait valoir leurs droits. Et le goût de la révolte reste dans toutes les bouches.
David Welsh est l’avocat de l’organisation syndicale américaine AFL – CIO. Il assiste les syndicats cambodgiens dans le processus de négociation salariale. Il explique que la contestation se cristallise actuellement dans les deux pays les moins chers du monde pour la confection textile : le Cambodge et le Bangladesh. Il estime que les grandes marques sont acculées et qu’elles doivent engager des négociations avec les syndicats. Pour l’instant, elles se sont dégagées de toute responsabilité en arguant que le paiement des salaires et les conditions de travail dépendaient de leurs sous-contractants. Mais l’argument a fait long feu et leur image pâtit des mouvements de contestation dans ces pays. L’objectif de ces entreprises étant par ailleurs de s’assurer un approvisionnement stable, elles seraient effectivement prêtes, pour certaines, à accepter une augmentation de leurs coûts de production. Reste à savoir si l’argent des marques bénéficiera ensuite aux ouvriers cambodgiens ou viendra remplir les poches des multiples intermédiaires.
Voir l’interview de David Welsh (en anglais)Projet interactif réalisé dans le cadre d’un reportage pour la Ligne Directe des Observateurs.