Grâce à la fondation qu’elle a créée au Bénin il y a 13 ans, Marie-Cécile Zinsou s’est fait connaître pour son engagement dans la promotion de l’art contemporain en Afrique. Aujourd’hui, un tout autre combat la met sur le devant de la scène : la restitution des biens culturels pillés lors de la colonisation par la France de ce qui était alors le Dahomey. Portrait de celle qui veut faire rayonner l’art africain sur le continent.

© Yanick Folly

Quand Marie-Cécile Zinsou reçoit chez elle à Cotonou, c’est comme si elle ouvrait les portes de son musée. C’est toute l’histoire artistique de l’Afrique qui décore les murs de la confortable villa située non loin du littoral. Là, une échelle Dogon - très présente dans la culture malienne et qui sert à grimper dans les greniers à céréales -, ici, ces masques anciens communs à la tradition subsaharienne. Sans oublier les créations contemporaines de Cyprien Tokoudagba, artiste béninois (1939-2012) reconnu pour ses bas-reliefs et sculptures qui racontent l’épopée des grands rois d’Abomey, ville historique inscrite au patrimoine mondiale de l’Unesco.

À la maison, comme au bureau, l’art n’est jamais loin du quotidien de celle qui, depuis peu, est en première ligne du combat pour la restitution des trésors royaux pillés par la France lors de la conquête coloniale de 1892 et réclamés par le Bénin depuis juillet 2016. “J’ai la chance de travailler dans un métier d’engagement aussi. L’art, c’est d’abord un engagement personnel avant que cela ne soit professionnel ” explique Marie-Cécile Zinsou, son nouveau-né de quelques mois dans les bras.

“Quand je nais en 1982 en France, ma famille est exilée”

Cela fait 13 ans que cette petite-nièce de l’ancien président du Bénin Emile Derlin Zinsou (1968-1969) et fille de l’économiste et ancien premier ministre béninois Lionel Zinsou (2015-2016), a décidé de faire de sa passion pour l’histoire et l’art, sa profession. En juin 2005, l’autodidacte crée à Cotonou, avec le soutien financier de son père, la Fondation Zinsou, premier espace de diffusion de la création contemporaine en Afrique. Elle a alors 21 ans. Deux ans plus tôt, elle foulait enfin le sol de son pays qu’elle regrette de n’avoir jamais connu durant toute son enfance et adolescence. “ Quand je nais en 1982 en France, ma famille est exilée. Ce n’était pas une expatriation. Et quand tu nais dans une famille comme celle-la, tu entends parler de ton pays de manière intense”, raconte-t-elle.

Malgré une histoire mouvementée, la famille Zinsou a toujours compté dans la politique béninoise contemporaine. Originaires de Savalou dans le Sud du Bénin, les Zinsou, opposés au régime révolutionnaire de Mathieu Kérékou, sont forcés à l’exil en 1977. À l’avènement de la démocratie en 1991, ils peuvent rentrer sans crainte à Cotonou. Mais il faut attendre 2003 pour que la jeune fille de 19 ans se décide à rentrer dans la patrie de ses ancêtres. ‘’J’ai eu une construction du Bénin très littéraire. Je l’ai eue par le récit de toute la génération des indépendances. Je les rencontrais tous à Paris. Je l’ai eue aussi par les œuvres d’art au musée Dapper et dans ce qui était l’ancêtre du musée du Quai Branly, le musée de l’Homme’’ se rappelle aujourd’hui Marie-Cécile Zinsou.

Déconstruire
les préjugés
© Jean-Dominique Burton

De retour au Bénin, l’élégante métisse est vite confrontée à un paradoxe : alors qu’elle a l’habitude d’aller admirer dans les musée parisiens les sculptures anthropomorphes des rois d’Abomey, leurs récades – sorte de sceptre royal typiquement béninois - ou l’imposant trône du roi Béhanzin (1890-1892) – célébré pour la résistance qu’il opposa aux troupes françaises - , rien de tel à Cotonou où la majorité de la population n’a pas accès aux institutions culturelles et artistiques. Pourtant, souligne-t-elle, à Paris, “j’avais accès aux plus belles œuvres de mon pays. Des choses que je n’aurais pas pu voir si j’avais été au Bénin”.

“Tous les gouvernements sont archi-coupables sur les questions culturelles”

En France, les musées sont gratuits pour les moins de 25 ans et les étudiants. Ce n’est pas forcément le cas sur le continent africain. C’est de ce constat que lui vient l’idée de créer une fondation dédiée à la promotion de l’art. Alors qu’elle enseigne l’anglais et l’histoire dans une école d’art d’Abomey-Calavi gérée par l’ONG autrichienne SOS Villages d’Enfants, au nord de Cotonou, Marie-Cécile Zinsou se rend compte que ses élèves ne sont pas familiers des artistes contemporains béninois, même de ceux qui sont les plus en vogue à l’étranger. “Ce qui m’a intéressé, c’est qu’ils puissent connaître les créateurs. Qu’ils sachent ce qu’ils font dans leur pays, explique-t-elle. “Toute la jeunesse européenne aura vu Romuald Hazoumè et à Porto-Novo [capitale politique du Bénin], les gens n’auront jamais vu ses œuvres ? C’est quand même incroyable ! ”, conclut la spécialiste de l’art africain avec un ton d’exaspération. Et d’accuser : “Tous les gouvernements sont archi-coupables sur les questions culturelles. Souvent ce sont des gens qui ont bénéficié d’accès à la culture [pendant leurs années passées en Europe] et quand ils rentrent dans leur pays, ils privent les jeunes générations d’un accès à la culture, à leur propre histoire.”

© Yannick Folly

Mais qui a dit que les jeunes générations africaines n’aimaient pas l’art ? Le 6 juin 2005, le tout premier vernissage de la Fondation Zinsou apporte un démenti formel à ce préjugé. Ce jour-là, ils étaient 600 enfants présents, venus de l’école d’en face, pour voir les œuvres de Romuald Hazoumè, artiste béninois exposé dans les plus grandes galeries du monde dont le Smithsonian Institute. “On m’avait pourtant dit que le projet de créer une fondation d’art contemporain en Afrique était fou. Que les Africains n’allaient pas au musée” sourit, un brin moqueur, Marie-Cécile Zinsou.

Treize ans après l’ouverture de la Fondation Zinsou, l’historienne de l’art ne fait plus trop attention au nombre de visites, qui ont dépassé la barre des cinq millions lors des dix ans de l’institution en 2015, et aux près de 200 000 personnes qui fréquentent ses bibliothèques. “Je n’ai vraiment plus l’obsession des chiffres. Les statistiques nous ont servi à désagréger tous les poncifs sur le rapport de l’Africain à la création contemporaine”, explique celle dont la fondation a reçu le prix Praemium imperiale, remis par la famille impériale du Japon au nom de l'Association japonaise des beaux-arts, en 2014.

Œuvres exposées au musée
1/3 : Salle Cyprien Tokoudagba - 2 : Salle Kifouli Dossou - 4 : Salle Jean Dominique
© Jean-Dominique Burton

La fondation rayonne en effet. Elle a exposé les pièces les plus prestigieuses de la création contemporaine mondiale dont des tableaux du peintre “underground” américain Jean-Michel Basquiat en 2008 ou les peintures de l’artiste américain Keith Haring en 2016. Un musée d’art contemporain a même été ouvert en 2013 à Ouidah, ancien port négrier, pour pouvoir accueillir de manière permanente l’importante collection d’art de la famille Zinsou.

Romuald Hazoumè, lui, ne tarit pas d’éloges à l’égard de celle qui est devenue plus qu’une amie. “Elle est d’une intelligence redoutable et d’une honnêteté remarquable. Je n’ai pas hésité à prêter mes œuvres gratuitement quand elle est venue me parler du projet de la fondation. Les artistes africains ont besoin d’être présents et d’exposer dans leur pays où ils sont malheureusement méconnus. Encore aujourd’hui au Bénin, personne ne sait ce que je représente. C’était donc une aubaine. Mais surtout, elle voulait éduquer la jeunesse ”, affirme l’artiste.

Voix de la restitution
des trésors
"Rat Singer" de Romuald Hazoume à la Fondation Louis Vuitton © Jonathan Greet

C’est aussi pour cette jeunesse que Marie-Cécile donne de la voix pour la restitution des trésors royaux pillés, aujourd’hui exposés au musée du Quai Branly. Depuis deux ans, le Bénin formule le vœu de récupérer les œuvres emblématiques de son histoire. Le gouvernement de François Hollande, embarrassé, a tergiversé et d'abord opposé une fin de non-recevoir. Les biens culturels “sont soumis aux principes d’inaliénabilité, d’imprescriptibilité et d’insaisissabilité. Ils sont intégrés de longue date, parfois depuis plus d’un siècle au domaine public mobilier de l’État français ’’ avait répondu Jean-Marc Ayrault, alors ministre des Affaires étrangères.

Mais le nouveau président Emmanuel Macron, plus décomplexé vis-à-vis de l’histoire coloniale, veut bien coopérer. “Le patrimoine africain doit être mis en valeur à Paris mais aussi à Dakar, à Lagos, à Cotonou. Ce sera une de mes priorités. Je veux que d’ici à cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique” a déclaré le président français à Ouagadougou en novembre 2017 avant de nommer en mars 2018 deux experts, l’écrivain sénégalais Felwine Sarr et l’historienne Bénédicte Savoy, à l’occasion de la visite du président béninois Patrice Talon à l’Elysée. Il s’agit pour eux de déterminer les conditions dans lesquelles les œuvres peuvent être rapatriées.

“Ce n’est pas un honneur pour la France d’avoir dans ses collections des œuvres qui ont été pillées dans leurs pays d’origine”

À Cotonou, Marie-Cécile Zinsou veut bien y croire. Un jour peut-être, les œuvres qu’elle admirait enfant à Paris et qui lui racontaient l’histoire de son pays, retrouveraient les terres d’où elles ont été enlevées. Une première exposition de ces œuvres dans le cadre de la Fondation Zinsou en 2006 avait attiré près de 275 000 personnes. “Ce n’est pas un honneur pour la France d’avoir dans ses collections des œuvres qui ont été pillées dans leurs pays d’origine. Aujourd’hui, on peut se poser la question de la légitimité de la France à garder ces œuvres. Et je trouve qu’Emmanuel Macron crée le dialogue. On retrouve le respect dans sa méthode” apprécie-t-elle.

Pour Cathia Lawson-Hall, sa grande amie franco-togolaise et membre du conseil de surveillance de Vivendi, “la restitution montre à nos jeunes qu’on a une histoire et qu’on se la réapproprie. Cette histoire nous aide à construire notre futur et à retrouver de la dignité”.

Marie-Cécile Zinsou et Romuald Hazoumè en 2015
© Fondation Zinsou

Cependant, les détracteurs de cette démarche, ne sont pas seulement là où on les croit, parmi les élites hexagonales. Malgré l’amitié qui les lie, Romuald Hazoumè en fait partie. “Cela fait cinquante ans que je vis au Bénin. Et je ne veux pas prendre la responsabilité de participer à la disparition définitive de ces pièces. Nos États ne sauront pas les conserver. Je préfère qu’elles restent en France. Je l’ai dit à Bénédicte Savoy quand elle est venue me voir.” En 2015, le plasticien confiait déjà au quotidien français Le Monde, dans un dialogue reconstitué avec le milliardaire congolais Sindika Dokolo : “Allez voir l’état des musées en Afrique. Ils sont vides ! Les politiques s’en fichent et les directeurs de musée ont vendu les pièces. Si vous les leur ramenez, ils vont les vendre une deuxième fois !”

L’état de conservation des réserves et collections nationales béninoises semble lui donner raison. Il y a près d’un an, un grave incendie a même détruit une partie du musée d’Abomey. Fort heureusement, les pièces du musée n’ont pas été touchées. Mais l’incident révèle bien l’état de déréliction des infrastructures culturelles du pays. “On ne peut pas être en pointe sur la question de la restitution et négliger ce qui se passe ici” finit par concéder Marie-Cécile Zinsou.

Restaurer les mémoires
© Jean-Dominique Burton

Pour ne pas être en porte-à-faux avec sa volonté de voir revenir ses œuvres, le gouvernement béninois, qui veut faire du tourisme mémoriel un levier de développement, vient d’annoncer la construction à partir de mars 2019, de quatre musées modernes. “On se félicitera le jour où ces musées modernes annoncés verront le jour” affirme sceptique, la présidente de la Fondation Zinsou, engagée aux côtés de son père Lionel Zinsou dans ce combat pour la mémoire béninoise. C’est d’ailleurs à ce dernier que François Hollande avait commandé en 2016 un rapport sur la création d’une fondation pour la mémoire de l’esclavage. Elle devrait voir le jour cette année.

“Nous sommes dans une situation très complexe sur le continent africain. Où sont les objets de notre mémoire ? C’est pourquoi la quête de la restitution est aussi importante. Pourquoi avons-nous envie que nos œuvres reviennent ? C’est une trace de notre passé. Ce qui nous permet de mieux la raconter ” explique Marie-Cécile Zinsou qui est par ailleurs membre du conseil d’administration du château de Versailles.

Ces traces du passé, la famille Zinsou avait déjà commencé par les collectionner pour les générations futures. Marie-Cécile détient par exemple l’une des collections d’archives les plus importantes du Bénin dont le premier album photo du Dahomey qui date de 1895. Si les gouvernants de ce pays semblent avoir ouvert les yeux aujourd’hui sur la richesse de leur patrimoine, il y en a une qui y veille déjà depuis … treize ans.

Prix Praemium Imperiale

© Japan Art Association