Le parti écologiste autrichien a perdu l’ensemble de ses 24 députés aux législatives d’octobre 2017. Ne parvenant pas à capitaliser sur la victoire de leur ancien leader, Alexander Van der Bellen, à l’élection présidentielle, les Verts se sont effondrés progressivement suite à une succession de mauvaises décisions, tant humaines que politiques. Adversaires historiques les plus virulents de l’extrême droite, et jusqu’à 2017 force incontournable à gauche, ils peinent à se reprendre en main pour revenir dans le débat public.

Dans un quartier branché de Leopoldstadt, le deuxième arrondissement de Vienne, Nora, Manu, Anna et Georg se refont le film des élections législatives d’octobre 2017 autour d’une bière. Encore sonnés, en ce mois de janvier enneigé, par l’arrivée de l’extrême droite (FPÖ) au gouvernement, le groupe de jeunes, un siècle à eux quatre, passent en revue les propositions de réformes qui les fâchent. "Le débat sur la sécurité prend beaucoup trop de place dans le débat public, et on ne parle pas de tout ce qui compte vraiment", lance Manu. "Le pire que l'on puisse faire est de concentrer les demandeurs d'asile, ils ne pourront jamais apprendre la langue et s’intégrer comme ça", surenchérit Nora.

Quand vient le sujet du parti écologiste, die Grünen, les mines s’assombrissent. Difficile de ne pas évoquer la débâcle des Verts autrichiens lorsqu’on s’interroge sur la percée de l’extrême droite. Une succession de mauvaises décisions et de désaccords internes a coûté au parti la totalité de ses 24 sièges au Conseil national. "Vu leurs divisions, c'était assez clair qu’ils n'iraient pas loin, mais qu'ils ne soient pas du tout au Parlement, c’était vraiment une surprise", remarque Manu.

Successions d’erreurs et de coups du sort

  Alexander Van der Bellen, chef de file des Verts autrichiens de 1997 à 2008, a été élu président du pays en décembre 2016.

Début 2017, les Verts, alors l’une des plus puissantes formations écologistes en Europe, avaient pourtant la main. Alexander Van der Bellen, dirigeant du parti de 1997 à 2008, venait d’être élu président de la République. Un poste certes moins important que celui de chancelier, mais à la forte valeur symbolique pour cet homme très apprécié en Autriche. Sous son mandat, le parti, troisième force politique du pays de 2006 à 2008, s’était positionné avec ses valeurs libérales comme le plus virulent adversaire du FPÖ.

"Quand il est devenu président, on s’est dit qu’on était bien partis et qu’on pourrait profiter de ce coup de projecteur. Mais très vite, tout a commencé à aller de travers", explique, dans son bureau de la mairie de Vienne, David Ellensohn, chef de file des Verts au conseil communal de la capitale. Le 18 mai 2017, la porte-parole fédérale du parti, Eva Glawischnig démissionne de tous ses postes politiques pour raisons de santé. "Après ça on ne s’est plus vraiment entendu, certains sont partis, en particulier les jeunes du parti [qui ont rejoint la formation communiste, le KPÖ]", continue l’ancien député.





Le coup de grâce arrive en juin 2017, au moment de l’élaboration de la liste de candidatures en vue des élections législatives. Le parti souhaitant féminiser et rajeunir son image, le très populaire ancien député Peter Pilz, 64 ans, n’obtient pas la quatrième place qu’il briguait sur la liste et démissionne. Il crée sa propre formation politique, la liste Peter Pilz, et capitalise sur les valeurs que les Verts ont laissé de côté dans la campagne électorale : construire une alternative politique réelle à la droite et au populisme, en déconstruisant les discours sur la sécurité et les migrants utilisés abondamment par les trois autres grands partis (les sociaux-démocrates du SPÖ, les conservateurs de l’ÖVP, et le FPÖ). "Au final, pour les élections, on a filé tout droit vers le désastre", conclut David Ellensohn. Peter Pilz, lui, a récupéré huit sièges au Conseil national.



"État de choc"

  Affiche de campagne d’Ulrike Lunacek, candidate malheureuse des Verts aux élections législatives.

"La révolution de ces élections, ce n’est pas le succès du FPÖ, demeuré relatif par rapport au score de l’ÖVP, mais la scission des Verts à l’approche de la campagne et leur sortie du Parlement", explique Thomas Angerer, historien en politique autrichienne contemporaine à l'Université de Vienne. Alors que les deux partis de la nouvelle coalition au pouvoir ont récupéré 26 sièges à eux deux, et que les sociaux-démocrates du SPÖ sont divisés et désorientés, la voix de l’opposition s’est considérablement enrouée depuis fin 2017.

"Les Grünen sont toujours en état de choc. Il va leur falloir trouver un moyen d’être à nouveau dans le débat public, et se décider sur un leadership, explique le politologue Laurenz Ennser-Jedenastik. La nouvelle coalition est une opportunité formidable pour eux afin de récupérer des votants. Leur réputation anti-FPÖ est toujours là, l'environnement politique leur est toujours favorable." Les Verts peuvent aussi capitaliser sur le désaveu de Peter Pilz, empêtré dans une accusation de harcèlement sexuel qui l’a obligé à quitter son poste de député peu après les élections d’octobre.

Les Verts ont un besoin urgent d'une "politique d'opposition audacieuse", confirme l’ancienne députée européenne Ulrike Lunacek, qui a mené la liste écologiste au scrutin de 2017. "C'est arrivé de façon spectaculaire, il y a eu un énorme virage à droite en Autriche", se défend-elle.

Au-delà des fractures internes, la plus grosse erreur des Verts autrichiens aura été de laisser de côté leur statut de pourfendeurs du populisme au profit d’un programme désincarné centré sur la baisse d’impôts et l’environnement, loin des préoccupations de nombreux Autrichiens, que les partis de droite ont su mieux exploiter.