Depuis cinq ans, ce n’est pas une mais plusieurs guerres qui ravagent la Syrie. Ce qui avait commencé comme un soulèvement populaire localisé est devenu un conflit généralisé avec de multiples acteurs sur le terrain, mais aussi à l’étranger. À tel point qu’il est difficile de s’y retrouver. France 24 vous aide à y voir plus clair.

La trêve conclue le 9 septembre 2016 par Russes et Américains a fait long feu malgré la détermination affichée de trouver une issue au conflit syrien qui dure depuis plus de cinq ans. Au fur et à mesure des mois et des années, le soulèvement populaire né à Deraa dans le sud du pays, s’est mué en un conflit complexe et multiforme, auquel prennent part de nombreux acteurs, syriens et étrangers. Tous n’ont pas les mêmes objectifs et chacun donne l’impression de jouer sa propre partition, aux dépens de civils qui payent un lourd tribut. Bilan : plus de 300 000 morts, des milliers de disparus, des millions de déplacés internes et autant de réfugiés à l’étranger, sans compter les destructions et une économie en ruine.

Face au régime se dresse une multitude de factions rebelles aux contours changeants, souvent islamistes, parfois jihadistes, et presque toujours soutenus par de puissants parrains étrangers. Profitant largement des divisions sur le front des rebelles, l’organisation terroriste État islamique (EI) s’est implantée dans le pays et en a conquis de larges pans. Pour contrer son avancée, une coalition de puissances internationales s’est mise en place et mène des raids contre des positions de l'EI. Menée par les États-Unis, elle comprend des pays occidentaux dont la France, mais aussi des pays du Moyen-Orient, comme la Jordanie. Sans oublier les Kurdes, qui, à la faveur du conflit, auront obtenu plus d’autonomie qu’ils n’en ont jamais eue en Syrie.

Où en est-on aujourd’hui sur le terrain : qui est avec qui ? Qui combat qui ? Quelle est la stratégie de la Russie ? Et quid de la lutte contre l’EI dans laquelle s’est lancée la communauté internationale ?




Pourquoi la Turquie est-elle intervenue en Syrie ?


Dès le début du conflit, la Turquie s’est positionnée comme un des principaux soutiens à la rébellion anti Bachar al-Assad, fournissant soutien financier, logistique et laissant passer armes et combattants par sa frontière. Elle a surveillé avec beaucoup d’attention les mouvements à sa frontière non seulement pour des questions de sécurité, mais aussi et surtout parce qu’il s’agit de la zone peuplée par les Kurdes, bête noire d’Ankara. Avec l’opération Bouclier de l’Euphrate, la Turquie s’est officiellement engagée en Syrie contre l’EI. En réalité “le vrai but des autorités turques, c’est de freiner l’expansion territoriale des Kurdes de Syrie”, explique à France 24 Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et chercheur invité au Washington Institute.

Le 19 septembre 2016, Ankara a annoncé que les rebelles syriens, qu’il soutient allaient poursuivre leur avancée vers le Sud. “Dans le cadre de l'opération Bouclier de l'Euphrate”, a déclaré le président Recep Tayyip Erdogan, “une zone de 900 km2 a été nettoyée. [...] Nous pourrions étendre cette zone à 5 000 km2 dans le cadre d'une zone de sécurité.” Le gourvernement turc s’appuie sur des groupes comme la brigade Al-Zinki, ou celle de Sultan Mourad, qui serait constituée de nombreux Turkmènes, une ethnie sunnite proche de la Turquie, ou sur des rebelles proches des Frères musulmans comme l’ancien Liwaa al-Islam.




Les Kurdes : quelle carte jouent-ils ?


Quel but les Kurdes poursuivent-ils ?

Les Kurdes occupent le nord-est de la Syrie. Depuis le début du conflit, le Parti de l’union démocratique (PYD), branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) elle-même bête noire des Turcs, défend ce territoire contre toute agression, qu’elle vienne du régime ou des rebelles.

Depuis le retrait de l’armée syrienne de leur région, ils ont acquis de facto vis-à-vis des autorités de Damas l’autonomie que ces dernières leur avait toujours refusée. Même s’il est arrivé qu'ils nouent des alliances de circonstance avec le régime syrien, notamment dans la ville d’Alep. Le cas de la ville d’Hassaké est à part. En août 2016, des combats meurtriers y ont opposé armée syrienne et troupes kurdes après que ces derniers ont voulu s'emparer de bâtiments officiels et mettre fin à l’administration centrale. “Or, Damas ne peut pas permettre cela, et c’est une médiation des Russes qui a mis fin au bras de fer”, explique Fabrice Balanche.
Au fil des combats avec les groupes jihadistes, les Kurdes ont gagné du terrain et relié presque totalement leurs trois enclaves, Afrin, Kobané et Qamishli. Au grand dam de la Turquie, qui ne veut pas les voir établir de véritable zone autonome en Syrie, à sa frontière.

Pourquoi la Russie soutient-elle les Kurdes ?

Les Kurdes ont su profiter du double-jeu des grandes puissances pour avancer leurs pions. Avec l’aide de Washington, ils ont chassé l’EI de Manbij, pourtant situé hors de leur zone. Restait le corridor d’Aazaz, où ils ont reçu le soutien de la Russie.
Selon Fabrice Balanche, “Poutine considère que le nationalisme kurde est le seul élément susceptible de faire bouger les lignes au Moyen-Orient et surtout capable d’affaiblir la Turquie”. Les Kurdes font également d’excellents garde-frontières. Leur présence le long de la frontière nord de la Syrie a permis d’assécher les flux de combattants, jihadistes et munitions et de faciliter les efforts de reconquête du territoire syrien par les forces du régime et leurs alliés russes.

Pourquoi les États-Unis soutiennent-ils les Kurdes ?

Pour Washington, les Kurdes apparaissent comme les alliés les plus fiables sur le terrain pour lutter contre l’EI. Il faut dire que toutes les tentatives des Américains de s’appuyer sur des rebelles ont échoué. La Division 13 et la brigade Hamzeh, soutenues par Washington pendant un temps, ont été éliminées par le Front al-Nosra qui leur a repris les missiles TOW livrés par les Américains.







Que se passe-t-il dans le sud, près de la frontière avec Israël ?


Le conflit syrien, dans l’arrière-cour de l’État hébreu, suscite un débat au sein de la classe politique israélienne. “D’un côté, certains pensent que si le régime d’Assad tombe, l’Iran, ennemi d’Israël mais grand allié de Damas, en sera affaibli, mais d’un autre côté, la perspective de voir des islamistes accéder au pouvoir en Syrie inquiète”, explique Fabrice Balanche. Israël veut protéger le Golan, ce plateau frontalier annexé en 1981. Depuis le début du conflit, des roquettes tirées depuis la Syrie sont tombées sur le Golan, sans que l’on puisse déterminer si elles étaient le fait des rebelles ou du régime. À chaque fois, Israël a répliqué par des tirs en direction de la Syrie. “Il est clair que si des hommes du Hezbollah ou de l’Iran profitaient du conflit pour prendre position autour du Golan, les autorités israéliennes interviendraient”, observe Fabrice Balanche.







Quelle est la stratégie de la Russie en Syrie ?


La Russie s’est engagée militairement en Syrie le 30 septembre 2015 à la demande de Bachar al-Assad, dont l’armée venait d’essuyer d’importants revers militaires. L’armée russe dispose toujours d’une base sur le littoral, et désormais d’une petite base à Palmyre.

Les Russes ont des intérêts en Syrie qui ne se confondent pas toujours avec ceux de Bachar al-Assad : ils veulent encercler la Turquie. La réconciliation très médiatisée entre les présidents Erdogan et Poutine début septembre, n’a formalisé que très récemment la normalisation des relations entre les deux pays.
Poutine cherche aussi à travers l’Iran à faire pression sur l’Arabie saoudite, grand exportateur de pétrole et donc son concurrent direct.




Le régime d’Assad va-t-il tenir ?


Au moment où Washington et Moscou annonçaient être parvenus à une trêve en Syrie, mi-septembre, Bachar al-Assad soufflait le chaud et le froid. Tout en acceptant la trêve, il réaffirmait sa détermination à reconquérir toute la Syrie. Il se réservait le droit de répondre à toute agression de la part des “terroristes”, Damas qualifiant ainsi tout opposant quel qu'il soit depuis le début du conflit en mars 2011. La distinction entre rebelles modérés et terroristes est une problématique complexe en Syrie et constitue l’une des principales pierre d’achoppement dans les négociations entre Américains et Russes. L’Armée de la conquête, puissant groupe islamiste qui se nommait encore il y a quelques mois le Front al-Nosra, a longtemps été au cœur de toutes les attentions. Connue comme la branche syrienne d’Al-Qaïda, elle a annoncé de façon surprenante fin juillet 2016 qu’elle rompait ses liens avec l’organisation jihadiste. Reste que sur le terrain, de nombreuses brigades rebelles se sont alliées à l’Armée de la conquête et ce déjà avant sa rupture avec Al-Qaïda.

Quatre jours après le début du cessez-le-feu, les bombardements avaient repris sur la banlieue de Damas et sur la partie d’Alep détenue par les rebelles. Pour le régime, Alep est un enjeu de taille.

Selon Fabrice Balanche, “oui, le régime de Damas va tenir”. Assad entend laisser une autonomie de facto aux Kurdes. Des zones continueront à échapper au pouvoir de Damas mais les institutions fonctionnent en zones rebelles. “Cela fait partie de la stratégie de contre-insurrection du régime”, conclut-il.









Où en est l’organisation État islamique ?
© WELAYAT RAQA / AFP


Après avoir conquis de larges pans du territoire syrien, l’EI a essuyé des défaites sur plusieurs fronts et est en recul depuis début 2016. L’organisation terroriste a perdu les villes de Qaryatain et de Palmyre, des prises lourdes de symbole pour l’armée d’Assad. Face aux Kurdes, appuyés par la coalition internationale dans le nord, les jihadistes ont perdu la ville de Manbij ; face aux Turcs, plusieurs villages, dont celui très stratégique d’Al-Raï. Le groupe terroriste résiste néanmoins dans son fief de Raqqa aux abords duquel il a réussi à freiner l’avancée du régime.