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Attentats en cascade, conflits ethniques ou religieux, catastrophes naturelles, plans de licenciements, crise migratoire… Dans les médias, la peur et la haine tiennent plus de place que l’amour, souvent absent ou réduit à ce que les Grecs appelaient "l’éros", c’est-à-dire à sa dimension charnelle. Pourtant, ce sentiment peut prendre mille formes, il est partout autour de nous et il n’y a rien de plus puissant. En ce mois de février, France 24 célèbre l’amour avec trois témoignages tirés du site amourinconditionnel.com. Ils parlent de fraternité, d’espoir et de tolérance. Autant d’antidotes à cette période de montée des extrêmes et de repli sur soi. Bonne Saint-Valentin à tous !

Meftaha ♥ son petit frère Simo

"Avec mon petit frère, nous avons moins de deux ans d’écart. Je ne me rappelle pas de son arrivée mais je me souviens qu’un jour, j’ai essayé de lui donner un grain de riz et il m’a mordu. Ça m’a servi de leçon. Aujourd’hui, Simo a 11 ans et moi 13. Je ne sais pas ce que je ferais sans lui.

Ce que je préfère chez lui, c’est son regard charmeur et son sourire en coin. Il est tellement mignon ! Quand je rentre de l’école, je vais le retrouver dans sa chambre. Je lui chante des berceuses, je lui fais des bisous … C’est la personne qui connaît le plus de choses sur moi dans ce monde ! Et il ne me trahira jamais.

Parfois, je regrette que Simo soit comme ça, parce qu’il ne peut pas partager tous mes jeux, et j’en voudrai toujours aux docteurs qui n’ont pas su prendre soin de lui à la naissance. Mais nous avons une relation unique ! Tous les jours, il y a un mot différent qui le fait rire. Hier par exemple, c’était ‘fromage’. Et quand on éternue, il se moque de nous ! Il ne peut peut-être pas s’exprimer comme tout le monde, mais il ressent tout.

"Quand je serai grande et que j’aurai un mari, inch’Allah, Simo viendra vivre avec moi. Comme ça, s’il lui arrive quoi que ce soit, je serai toujours là pour lui."

De temps en temps, ses yeux changent d’expression, il prépare ses larmes, sa bouche commence à se ramasser… Je sais qu’il est en train de prendre conscience de ses limites. Rien ne le rend plus triste, alors je lui mets sa musique préférée, la gnawa, et j’essaie de le faire rire.

Quand les gens veulent être méchants avec moi, ils savent exactement où me toucher. Je ne veux pas tout ramener à mon petit frère, mais on a une tout autre vision du monde quand on vit avec quelqu’un qui est dans un état que personne ne peut comprendre. Et dans le fond, c’est peut-être une chance ?

Plus tard, je voudrais reprendre l’école que mes parents ont créée pour accueillir des enfants comme Simo. J’y vais quasiment tous les jours, avant ou après les cours. Je connais le prénom de tous les camarades de mon petit frère, j’ai formé des liens d’amitié avec chacun et il me semble que c’est réciproque. Mais surtout, je me suis fait une promesse que je me répète tous les jours : quand je serai grande et que j’aurai un mari, inch’Allah, Simo viendra vivre avec moi. Dans notre maison, on lui fera une chambre qui sera collée à la mienne, comme ça, s’il lui arrive quoi que ce soit, je serai toujours là pour lui. Quand je dis à Simo que plus tard, il habitera avec moi, il se met à rougir et il a ce petit sourire, comme s’il était reconnaissant, un peu ému… Ce qui compte le plus pour moi, c’est qu’il soit heureux."

Meftaha, 14 ans aujourd'hui, est élève de quatrième au Lycée Lyautey de Casablanca. Elle est la troisième d’une famille de quatre enfants, dont le dernier, Mohamed (surnommé Simo), est resté lourdement handicapé à la suite d’une détresse respiratoire à la naissance. En 2008, ses parents, Loubna Kanouni et Rachid Mekouar, ont créé un centre de jour, l’AMI (Amicale marocaine des infirmités motrices cérébrales). Ils y accueillent 80 enfants qui bénéficient d’une assistance médicale, paramédicale et pédagogique personnalisée afin de les amener vers une forme d’autonomie et soulager les familles.



Gérard ♥ la France

"À 32 ans, j’ai appris que je deviendrais progressivement aveugle. Aujourd’hui, à 77 ans, je suis totalement dans le noir. Qu’est-ce qui fait que je supporte ma cécité ? C’est une force qui me vient de ma petite enfance, de tout l’amour que m’ont donné mes parents. Ma famille joue également un grand rôle dans ma vie, et je lui suis reconnaissant de m’accepter tel que je suis. Mais je ne qualifierais pas l’amour que nous avons les uns pour les autres d’inconditionnel, car nos relations sont faites de compromis, de limites ou de projections narcissiques. À vrai dire, en y réfléchissant, il n’y a qu’un seul amour dont je suis vraiment sûr et que je crois immortel : c’est mon amour pour la France.

"Rentre dans ton pays, tu n’es pas ici chez toi"

Je suis né à Alger, dans une famille séfarade. Mon père était artisan-bijoutier. Nous étions pauvres, mais je n’ai jamais manqué de l’essentiel : ni d’amour, ni de culture, car la France m’a offert un accès à l’école et l’université. Elle a aussi donné la nationalité française à mes grands-parents, juifs en terre d’islam, et cela s’est avéré infiniment précieux, car de citoyens de second ordre, ils sont devenus, grâce à la France, des citoyens à part entière.

J’avais 22 ans quand ma famille et moi avons quitté Alger pour Paris en 1962, à l’Indépendance. Ce départ a brisé en partie la vie de mes parents, mais en ce qui me concerne, je n’ai jamais regretté l’Algérie. A posteriori, j’ai compris que l’indépendance était inéluctable. Et puis, à l’époque, j’étais déjà en quatrième année de médecine. Je savais qu’il y avait devant moi un avenir qui allait s’éclaircir, même si, en arrivant, j’ai été souvent rabroué. On m’a dit : "Rentre dans ton pays, tu n’es pas ici chez toi". Qu’importe ! Je fais la différence entre la France et les Français. Elle n’est pas responsable de ses imbéciles.

"Je n’ai plus l’âge, mais auparavant, je me serais fait trouer la peau sans difficultés pour la France. Je suis amoureux de ses poètes, ses philosophes, ses écrivains."

Devenu professeur de médecine, j’ai effectué toute ma carrière à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu, à deux pas de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Lorsque je voyais encore bien, il m’arrivait très souvent d’y entrer pour contempler sa rosace – un chef-d’œuvre de 800 ans que la France a donné en partage. Je suis profondément juif, profondément athée, et profondément sensible à son héritage chrétien.

Je n’ai plus l’âge, mais auparavant, je me serais fait trouer la peau sans difficultés pour la France. C’est un pays généreux. Je suis amoureux de ses poètes, ses philosophes, ses écrivains. Quel autre pays peut se targuer, à chaque rentrée littéraire, d’aligner plus de 600 romans ?

Bien sûr, rien n’est parfait. Il y a eu Pétain, la Terreur de la Révolution française, les guerres de Religion, l’abandon des harkis et quantité d’autres atrocités, mais globalement, j’accepte sa culture comme étant lumineuse. Quand on est amoureux, on adhère à l’ensemble. Je ne pourrai jamais dire : aujourd’hui, la France ne mérite plus mon amour. J’ai pour elle une reconnaissance infinie."

Gérard est professeur de médecine. Endocrinologue, ancien chef du service de diabétologie de l’Hôtel-Dieu à Paris, ex-président de l’Association des diabétologues francophones, il est aujourd’hui à la retraite mais continue d’exercer en libéral. Passionné d’histoire, de théâtre et de musique, c’est aussi un grand consommateur de livres qu’il écoute dans leur version audio.



Todd ♥ ses deux mamans

"J’ai vu le jour dans un hôpital indien de l’Oklahoma, aux États-Unis, en 1975. Juste après ma naissance, Veta et Bunny sont venues me chercher pour m’emmener dans leur petite maison. À partir de ce jour, "Tante Bunny" et "Maman" m’ont élevé comme leur fils.

Elles s’étaient rencontrées quinze ans plus tôt, à l’Université de Tulsa. Bunny était une Amérindienne de la tribu des Creeks, un vrai garçon manqué. Lorqu’elle a vu Veta, une fille de fermiers catholiques, timide et conservatrice, elle s’est dit : "C’est elle". Mais il fallait qu’elles fassent très attention, parce qu’à l’époque, le mouvement des droits civiques n’avait pas encore démarré. Il pouvait arriver n’importe quoi aux gens pris en flagrant délit d’homosexualité, surtout dans un État rural comme l’Oklahoma. Elles ont donc pris l’habitude de ne jamais faire preuve d’intimité physique.

"Pendant longtemps, l’idée que les deux femmes qui m’ont élevé puissent être autre chose qu’amies ne m’a jamais traversé l’esprit. C’était un grand secret, et ce n’était pas le seul."

De fait, pendant longtemps, l’idée que Bunny et Veta puissent être autre chose qu’amies ne m’a jamais traversé l’esprit. C’était un grand secret, et ce n’était pas le seul. Très tôt, elles m’ont dit que j’avais été adopté, sans pour autant me révéler l’identité de mes parents biologiques. Ces deux secrets sont restés relativement intacts pendant près de vingt ans.

J’avais 17 ans lorsque j’ai commencé à assembler les pièces du puzzle. En vue de bénéficier de bourses à l’université, j’ai obtenu un Certificat de degré de sang indien. J’ai appris par ce biais que j’étais Creek au 3/16e. Bunny était Creek elle-aussi, au 3/4. Convaincu d’être issu de sa famille, je me suis lancé dans toutes sortes d’hypothèses. J’avais un oncle, Tommy, qui était parti faire la guerre du Vietnam et en était revenu avec un syndrome post-traumatique sévère, doublé d’une addiction à la drogue. Lorsque sa femme l’avait mis à la porte, il l’avait tuée avant de se suicider, laissant derrière lui un fils. Et si c’était moi ?

Mais peu après mon entrée à l’université, Bunny a commencé à souffrir d’un cancer. Nous savions qu’elle n’en aurait pas pour longtemps. Je ne voulais pas la peiner avec mes questions, alors j’ai laissé tomber.

"J’aurais voulu découvrir une astronaute géniale"

À la mort de Bunny, j’ai décidé d’arrêter mes études et de m’enrôler dans les Garde-côtes américains. Pour ce faire, j’avais besoin d’une carte de sécurité sociale. Je me suis donc rendu au bureau le plus proche et lorsque l’employé m’a demandé le nom de ma mère, j’ai donné celui de Veta. "Cela ne correspond pas à ce que nous avons", m’a répondu l’employé.

C’est ainsi que j’ai découvert l’identité de ma mère biologique. Je la connaissais un petit peu. Elle s’appelait Nancy. On m’a expliqué plus tard qu’elle était à l’université et avait un petit ami dénommé Skip lorsqu’elle est tombée enceinte de moi. Le hic, c’est que le bébé n’était pas de lui, alors sa tante Bunny s’est proposée de m’adopter.

J’ai été déçu d’apprendre que c’était elle, cette mère biologique que j’avais tant cherché en espérant découvrir une astronaute géniale, ou du moins quelqu’un qui s’était distingué par un truc remarquable. Mais qu’est-ce que Nancy a fait ? Elle avait épousé Skip, dont elle avait eu deux enfants, et puis elle avait divorcé avant de retomber enceinte d’un camionneur. Ses enfants ont eu des problèmes et l’un d’entre eux ne lui adresse plus la parole.

"Parfois, je me demande si je ne suis pas un ovni"

Le deuxième secret s’est brisé peu après. Un soir, en plein repas de Noël, une de mes cousines a lâché devant ma mère et moi que Bunny et Veta avaient été "lesbiennes". Pour la première fois, le mot était prononcé. Cela m’a énervé, parce qu’à mon sens, ce secret leur appartenait.

Une fois seul avec ma mère, je lui ai demandé : "Pourquoi tu ne m’as jamais rien dit ?". Elle m’a répondu qu’elle craignait que la rejette. Je lui ai dit que je l’acceptais telle qu’elle était, et nous n’en n’avons jamais reparlé.

Parfois, je me demande si je ne suis pas un ovni. Je me fiche pas mal de mes parents et de mes frères et sœurs biologiques. Mais j’aime ma mère et j’aimais Bunny. Elles m’ont élevé avec amour et à bien des égards, elles s’en sont beaucoup mieux tirées que bien des familles dotées d’un papa et d’une maman. Bunny et Veta avaient une relation respectueuse et aimante, quelle que soit sa nature. Elles m’ont choyé. Je ne les échangerais pour rien au monde."

Todd a grandi dans l’Oklahoma. Après avoir servi sept ans dans les Garde-côtes américains, il a déménagé à Washington en 2009 pour étudier le droit. Titulaire d’un doctorat et d’un master (LLM) de droit des affaires internationales de l’American University, Washington College of Law, il vit aujourd’hui à Istanbul, en Turquie, où il enseigne à l’université Kemerburgaz. Il officie également en tant que consultant en droit des affaires internationales pour des entreprises privées.





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