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Les Mistral de la discorde

Les marins russes prennent en main le premier des porte-hélicoptères destinés à Moscou

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Reportage réalisé les 20 et 21 août 2014, avant l’annulation de la vente des Mistral à la Russie.

ÀSaint-Nazaire, les marins russes poursuivent leur formation à bord du "Vladivostok", loin de l’agitation suscitée par la vente de deux navires de guerre Mistral à la Russie. Reportage aux côtés de ces soldats que l'on disait invisibles.

On les disait invisibles. Mais les marins russes sont présents en nombre, en cette fin du mois d'août, dans le port de Saint-Nazaire, devant l’imposant porte-hélicoptère de classe Mistral "Vladivostok". Vêtus d’uniformes bleus marine, des dizaines de jeunes gens aux cheveux courts lézardent au soleil. Certains s’accordent une sieste récupératrice alors que d’autres en profitent pour passer un coup de fil au pays, à plusieurs milliers de kilomètres des chantiers de l’Atlantique où sont construits les deux navires de guerre destinés à la Russie.

La crise qui déchire l’est de l’Ukraine et les vents annonciateurs d’une nouvelle guerre froide semblent bien lointains. La douceur de la fin du mois d’août réchauffe les corps et seules quelques vaguelettes de contestation atteignent le paisible rivage de Saint-Nazaire.

"On a déjà eu l’occasion de visiter la ville et nous avons été bien accueillis. J’ai entendu parler d’une manifestation contre la vente des Mistral mais tout se passe bien pour nous", glisse un jeune marin à Elena Gabrielian, journaliste de l’antenne russe de RFI, avant de s’éloigner. 

Les marins, qui ont ordre de ne pas parler à la presse, ne sont donc pas très bavards. Les commerçants locaux sont unanimes pour souligner la discrétion des moussaillons russes, qui viennent flâner par groupes de cinq ou six, en bermuda et à vélo, le long de la plage de Saint-Nazaire les soirs de permission.

1. Le Mistral “Vladivostok” aux mains des marins russes

Sur le quai du "Vladivostok", un signal retentit et les marins s’engouffrent rapidement dans le porte-hélicoptère flambant neuf. Ne restent à l’extérieur que quelques touristes français, surpris de pouvoir approcher de si près l’un des fameux navires de la discorde. C’est là, dans les entrailles du navire, à l’abri des regards, que les 400 marins russes arrivés le 30 juin dernier apprennent à maîtriser le fleuron des chantiers navals français.

 Au programme, l’utilisation des "pods" , ces moteurs intégrés sous la coque, orientables à souhait, qui permettent de manœuvrer le bâtiment de manière beaucoup plus aisée. Les futurs maîtres du "Vladivostok" se forment également sur le système de ballastage, qui permet à ce mastodonte de 199 mètres de long et de 32 mètres de large de se positionner dans des zones où les bâtiments de cette taille ne sont habituellement pas capables de pénétrer.

Le "Vladivostok" à quai dans le port de Saint-Nazaire


Après ces cours pratiques sur le Mistral, les marins russes regagnent la zone grillagée près de leur navire école, le "Smolniy", amarré à l’entrée du bassin du chantier naval, près de la grande écluse. Dans quelques semaines, c’est cette même écluse qui s’ouvrira pour laisser passer une dernière fois le navire de 16 500 tonnes.

La livraison du second Mistral “dépendra de l'attitude de la Russie, je le dis très clairement. (…) S'il devait y avoir des sanctions, cela interviendrait au niveau du Conseil européen et ça ne porterait que sur du matériel à venir. On n'en est pas là. On verra si les Russes se comportent mal"
François Hollande, président de la République, le lundi 21 juillet 2014

À en croire les déclarations de François Hollande, le deuxième Mistral mentionné dans le contrat franco-russe ne passera pas nécessairement les portes du chantier naval. Quelques jours après le crash du vol MH17 de la Malaysia Airlines, vraisemblablement abattu par un tir provenant des zones contrôlées par les séparatistes pro-russes dans l’est de l’Ukraine, le chef de l’État a conditionné la livraison du "Sébastopol" à l’attitude de la Russie dans la crise ukrainienne. Une question plus que jamais d’actualité après la percée des insurgés séparatistes vers le port ukrainien de Marioupol – succès militaire attribué par les Occidentaux à l’intervention directe de l’armée russe.
 

2. "No Mistral for Putin"

Un simple coup d’œil sur l’état d’avancement de la construction du "Sébastopol" permet toutefois de constater que les mises en garde de l’Élysée n’ont pas atteint l’embouchure de la Loire, où les travaux se poursuivent à un rythme soutenu sur le second Mistral promis à la Russie.

"On peut voir que la partie arrière de la coque du ‘Sébastopol’, construite en Russie avant d’être amenée en France, a déjà été attachée à la partie avant du bâtiment. Le deal est désormais beaucoup plus complexe à dénoncer", explique Bernard Grua, un entrepreneur nantais qui a pris la tête de la croisade anti-Mistral russe, en pointant du doigt la silhouette du navire qui s’élève au-dessus du long fleuve tranquille.

C’est lui qui nous a guidé vers le petit chemin de terre mal entretenu, coincé entre deux zones grillagées, à partir duquel on accède au meilleur point de vue sur ce deuxième Mistral en construction. Ancien marin – il a effectué son service militaire à l’état major de Brest à la fin des années 1980 – Bernard Grua s’alarme des transferts de technologies sensibles et dénonce inlassablement la collaboration de la France avec la Russie de Vladimir Poutine.

Les travaux avancent rapidement sur le "Sébastopol"

  • Le Mistral "Sébastopol" est actuellement en construction dans la partie du chantier naval qui donne sur la Loire.
  • La partie de la coque fabriquée en Russie, à gauche sur cette image, a déjà été montée sur le "Sébastopol".
  • Portrait de Bernard Grua. L’activiste propose que les pays opposés à la Russie formulent une offre de rachat pour les Mistral "Vladivostok" et "Sébastopol".

"Le système Poutine, c’est comme un vélo, il doit nécessairement avancer. S’il n’avance pas, il tombe", affirme l’activiste, qui évoque le spectre d’une utilisation des Mistral russes contre les ports ukrainiens d’Odessa et de Marioupol.

À l’origine de toutes les manifestations pro-ukrainiennes devant le “Vladivostok” - la prochaine est prévue pour le 7 septembre -, Bernard Grua est également impliqué dans la campagne "No Mistral for Putin" sur les réseaux sociaux, ainsi que dans l’accueil de réfugiés du Donbass dans la région. Un activisme jugé suspect par certains à Saint-Nazaire, qui s’interrogent sur l’origine de cette fougue pro-ukrainienne.

Extrait de l’interview d’Edmond Huet, spécialiste en armement :
"Les transferts de technologie ont déjà été effectués ! (…) La France vend un concept, une avancée technologique, et un savoir-faire. On est en train de faire gagner des années à un pays agressif en leur vendant de l’électronique de pointe."
Interview complète à lire sur FRANCE24.com
3. "Mistral Gagnons !" : Le FN à la manœuvre

Le concert de protestations internationales qui accompagne la livraison prochaine du "Vladivostok" a réveillé les défenseurs de l’industrie nazairienne. Flairant le bon filon, les élus locaux du Front national (FN) sont montés au créneau pour se placer à la proue du mouvement de soutien à la livraison des Mistral.

Espérant ainsi consolider ses conquêtes électorales dans les milieux ouvriers, le parti de Marine Le Pen avance toutefois masqué, en présentant le collectif "Mistral, Gagnons !", créé le 1er août dernier, comme une organisation apolitique rassemblant des "Nazairiens désemparés”, inquiets des conséquence d’une éventuelle annulation de la livraison des Mistral russes.

C’est dans un bar du quartier ouvrier de Méan-Penhoët, face au bassin du chantier naval, que nous découvrons la composition du collectif “Mistral, Gagnons !”. La rencontre avec le collectif tourne rapidement en tête à tête avec les trois élus FN de Saint-Nazaire – Jean-Claude Blanchard, Gauthier Bouchet et Stéphanie Sutter – sous le regard des quelques partisans nazairiens présents, qui préfèrent rester anonymes.

L'emploi sur les chantiers navals au coeur de la tempête

  • Les membres du collectif "Mistral, Gagnons !" rassemblés autour du leader local du FN, Jean-Claude Blanchard (1er à gauche), ainsi que des conseillers municipaux frontistes Gauthier Bouchet (3ème à partir de la gauche), et Stéphanie Sutter (4ème à partir de la gauche).
  • La question de l'emploi sur les chantiers navals - 2 500 salariés et 4 000 sous-traitants -est essentielle pour les responsables de Saint-Nazaire.
  • Les navires en construction à Saint-Nazaire - ici, la silhouette du "Vladivostok" - sont généralement payés au fur à mesure de l'avancement des travaux.

"Les habitants de Saint-Nazaire voient parfaitement l’impact que l’annulation des contrats aurait sur leurs familles", affirme Stéphanie Sutter, tandis que Jean-Claude Blanchard évoque le chiffre de 800 emplois menacés si les engagements français étaient remis en cause.

Tablant sur l’idée que la thématique de l’emploi et de la protection de l’industrie nazairienne est plus mobilisatrice que les lointains enjeux internationaux, les élus FN ont appelé à un rassemblement devant le "Vladivostok" le 7 septembre prochain – exactement la même date, heure, et lieu que la manifestation "No Mistral for Putin" organisée par Bernard Grua.

Nul doute que les marins russes observeront avec curiosité ces deux rassemblements rivaux depuis le pont de leur Mistral flambant neuf, conscients que la construction de son frère jumeaux "Sébastopol" avance à grands pas.




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