1926-2016

Fidel Castro

Entre ombre et lumière

Dernière figure incontournable du XXe siècle, Fidel Castro est décédé le 25 novembre 2016 à La Havane. Resté accroché au pouvoir pendant 50 ans, le leader historique de la révolution cubaine reste une personnalité controversée difficile à percer à jour. Qui se cache vraiment derrière cette barbe légendaire ? Portrait d’un personnage complexe aux multiples facettes.

L’idéologue

“Cuba est un pays socialiste, marxiste-léniniste dont l’objectif final est le communisme”- Fidel Castro -

Né le 13 août 1926 à Biran, dans la province d’Holguin, au sud-est de Cuba, Fidel Castro a passé ses toutes premières années dans la ferme de son père, un immigrant galicien devenu riche propriétaire terrien. Quand il arrive à l’université de La Havane pour y étudier le droit, il se définit alors comme "un analphabète politique". Il forge sa culture politique au gré de ses lectures et de ses rencontres. "J'y ai acquis des convictions que je suis heureux de n'avoir jamais été tenté de renier, ne serait-ce qu'une fois. Et pour lesquelles j'ai lutté toute ma vie", raconte-t-il dans “Biographie à deux voix”, d’Ignacio Ramonet.

Dès l’âge de 19 ans, il se fait remarquer par ses violentes critiques contre la corruption du gouvernement en place du président Ramón Grau San Martín, et adhère à la doctrine révolutionnaire de José Martí, héros de l'indépendance cubaine. Puis, il s’imprègne des théories politiques de Marx et de Lénine. Fidel Castro incarne, à lui seul, la révolution cubaine qui repose sur un régime socialiste d’État, avec un parti unique.

Le prisonnier

“L'histoire m'absoudra” - Fidel Castro -

Avec l’arrivée au pouvoir du général Fulgencio Batista en 1952, Fidel Castro, alors âgé de 26 ans, se radicalise. Convaincu qu’il faut renverser le pouvoir issu d’un coup d’État, il décide de mener une action d'envergure avec son frère et une centaine de compagnons. Ils s’entraînent au maniement des armes en toute discrétion et attaquent la caserne de la Moncada, le 26 juillet 1953, vêtus d’uniformes de l’armée.

Mais une patrouille les prend par surprise et l’opération est un échec. Au total, des dizaines de combattants sont tués après avoir été torturés par l’armée. Fidel Castro échappe à la mort grâce au sergent Pedro Sarría, qui refuse de suivre les ordres de ses supérieurs. “Ne tirez pas ! Ne tirez pas ! On ne tue pas les idées”, s’était-il exclamé face à ses soldats. Finalement condamné à 15 ans de prison, Fidel Castro purgera une peine de 18 mois avant d’être amnistié.

Sur Radio Rebelde, Fidel Castro explique la naissance du Mouvement du 26-Juillet. (Extrait de “La Marche du Monde” sur RFI)

L'orateur

“J'avais déjà cette manie de vouloir convaincre tout le monde”- Fidel Castro -

Lors de son procès pour l’attaque de la caserne de la Moncada en 1953, Fidel Castro choisit d’assurer lui-même sa défense. Exigeant et travailleur, l’avocat diplômé profite de l’occasion pour propager ses idées révolutionnaires, basées sur la souveraineté nationale, l’indépendance économique et la justice sociale.

Lors de sa plaidoirie intitulée “L’histoire m’absoudra”, cette personnalité écrasante d’1,85 m se révèle maître dans l’art de la rhétorique et de l’argumentation. Des qualités oratoires qu’il a acquises lors de sa scolarité chez les jésuites du collège de Belén de La Havane (1942-1945), mais aussi durant ses études de droit.

Pendant ses 50 années au pouvoir, le Lider Maximo a aimé captiver son public et convaincre ses interlocuteurs. Il est réputé pour ses discours fleuves : le plus long a duré 7 h 15, sans interruption, en 1998.

Le compañero

À sa sortie de prison en 1955, Fidel Castro fonde le Mouvement du 26-Juillet (M 26-7) pour poursuivre la lutte. Contraint de s'exiler au Mexique avec son frère, il y retrouve tous les Cubains déterminés à renverser la dictature de Fulgencio Batista. Alors âgé de 29 ans, il fait également la rencontre à Mexico d’un médecin argentin de 27 ans du nom d’Ernesto Guevara. Les deux hommes se découvrent rapidement des idéaux marxistes communs, au point que le “Che” rejoint le groupe de Cubains qui se forme aux techniques de la guérilla. "Je l’ai connu durant une nuit fraîche à Mexico, et je me souviens que notre première discussion tourna autour de la politique internationale. Quelques heures plus tard – au petit matin – j’étais l’un des futurs expéditionnaires", raconte le médecin argentin dans ses mémoires.

Les deux “barbudos” pratiquent une politique internationaliste. Dès 1959, le Che, successivement chef des Forces armées révolutionnaires, chef de l’Industrie et de la Réforme Agraire, puis Président de la Banque Nationale de Cuba, est alors envoyé en mission dans une vingtaine de pays du monde entier pour promouvoir les idées révolutionnaires et anti-impérialistes.

En 1965, Ernesto Guevara décide de se retirer de la vie publique. Fidel Castro diffuse une lettre du Che dans laquelle il réaffirme sa solidarité avec la révolution cubaine, mais explique sa volonté de se détacher de ses obligations pour aller combattre à l'étranger pour ses idées. Tué en 1967 en Bolivie, le Che reste un héros légendaire de la révolution cubaine.

Le fin stratège

Le 25 novembre 1956, Fidel Castro et ses 81 compagnons embarquent depuis le Mexique à bord d'un vieux yacht, le Granma, dans le but de rejoindre Cuba. En raison d'une mer agitée, l’embarcation s'échoue au sud de l'île avec 48 heures de retard. Informés du plan d’attaque, les hommes armés de Batista ripostent sans mal en écrasant la troupe. Les corps de Raul et Fidel Castro sont officiellement identifiés et enterrés par l'armée.

Pourtant, une dizaine de survivants, parmi lesquels les frères Castro, Ernesto Che Guevara et un autre compagnon de guerre, Camilo Cienfuegos, prennent le chemin des montagnes et gagnent la Sierra Maestra. Pour rallier l'opinion à sa cause, Fidel Castro décide d'accorder une interview à un journal étranger, la presse cubaine étant censurée. Le reporter américain du “New York Times” Herbert Matthews, qui réussit à déjouer les troupes de Batista, passe trois heures dans la montagne avec Fidel Castro.

Ce dernier parvient à le tromper en gonflant par des subterfuges le nombre d’hommes armés qui l’accompagnent. Fasciné par le personnage, l’éditorialiste aguerri comptabilise 40 combattants, alors que le M 26-7 ne compte pas plus de 18 compañeros mal équipés. Il décrit également des rebelles avides “d'un changement radical et démocratique pour Cuba”. Les trois longs articles publiés en janvier 1957, qui ont permis aux opposants au régime d’apprendre que Castro est toujours vivant et que la lutte est toujours en route, ont largement contribué à faire naître l’image d’un héros.

Le héros

La Havane, 8 janvier 1959.

Après plus de deux années de guérilla, les révolutionnaires cubains profitent d'une grève générale qui paralyse le pays pour prendre le pouvoir à La Havane en 1959. À l’issue d’une tournée dans l'île, Fidel Castro, alors commandant en chef des forces armées révolutionnaires, est accueilli triomphalement dans la capitale le 8 janvier et reçoit le soutien de la population. Lors de la formation du gouvernement révolutionnaire, le héros est nommé ministre des Forces armées, sous la présidence du juge Manuel Urrutia Lleó. Et dès février, il devient Premier ministre du nouveau gouvernement.

L'anti-américaniste

Si les États-Unis reconnaissent le nouveau pouvoir en place à Cuba dès 1959, les tensions entre les deux pays ne tardent pas. Fidel Castro mène une réforme agraire limitant la propriété et lance d’importantes nationalisations des terres, allant jusqu’à exproprier des entreprises américaines. Voyant ses intérêts menacés, Washington suspend ses exportations vers Cuba en octobre 1960 et rompt les relations diplomatiques en janvier 1961.

Trois mois plus tard, la Maison Blanche soutient des exilés cubains formés par la CIA, qui tentent de débarquer dans la Baie des cochons. L’opération échoue mais n’est pas sans conséquences : Fidel Castro déclare alors le caractère socialiste de la révolution et se rapproche de son allié, l’Union soviétique, qui s’impose alors comme le principal partenaire commercial et économique de l'île – et ce, jusqu’à la chute du régime soviétique en 1991. L’embargo économique, commercial et financier américain est décrété en juin 1962 par John Fitzgerald Kennedy.

Entre 1959 et son retrait du pouvoir en 2008, Fidel Castro a résisté à pas moins de dix présidents américains : Eisenhower, Kennedy, Johnson, Nixon, Ford, Carter, Reagan, Bush père, Clinton, Bush fils et Obama. Sa détermination à lutter contre l'impérialisme américain prend une forme extrême lors de l'installation de missiles nucléaires soviétiques à Cuba en 1962, provoquant l'une des plus graves crises de la guerre froide.

Dans une lettre datée du 27 octobre 1962, Fidel Castro demande au premier secrétaire du Parti communiste de l’Union soviétique Nikita Khrouchtchev de réagir par la force nucléaire si Cuba venait à être attaquée par les États-Unis. "Nous sommes alors à deux doigts d’une guerre nucléaire", a confié, par la suite, le dirigeant soviétique. Voulant éviter le pire, il s’entend avec John Kennedy sur un compromis : Khrouchtchev retire ses missiles de Cuba et en échange, la Maison Blanche s'engage à ne jamais envahir l'île. Interrogé trente ans plus tard sur les conséquences d’une éventuelle intervention nucléaire, Castro a reconnu que Cuba aurait alors "disparu de la carte".

Parmi tous les présidents américains, le dirigeant cubain a entretenu de bons rapports avec Jimmy Carter, qui, selon lui, "a fait part d’une meilleure attitude que ses prédécesseurs à l’égard de Cuba". "Il a été le meilleur président des États-Unis que j’ai connu, indépendamment de toute appréciation personnelle". Fidel Castro avait également une bonne opinion de John F. Kennedy, ainsi que de Bill Clinton.

L'internationaliste

"Le peuple cubain occupe une place spéciale dans le cœur du peuple africain" - Fidel Castro -

Élu à la tête de l’ANC (African National Congress), Nelson Mandela s’envole pour Cuba en juillet 1991. Le 26, il est accueilli en héros par Fidel Castro qui le prend dans ses bras.

Soucieux d'exporter ses idées révolutionnaires, Fidel Castro a multiplié les discours au sein d’organismes internationaux, notamment à l'ONU. Dans les années 1980, Cuba a pris la tête du mouvement des non-alignés et conduit une intense campagne internationale pour le non-paiement de la dette publique extérieure des pays latino-américains.

Le gouvernement cubain a aussi joué un rôle interventionniste auprès des différents mouvements anti-impérialistes en Amérique latine et soutenu les peuples en quête d’indépendance. La Havane a notamment envoyé 35 000 hommes en Angola à partir de 1975, ce qui a permis la déroute de l'armée d'élite de la République d'Afrique du Sud. En 1988, l’armée cubaine s’est de nouveau retrouvée aux prises avec l’armée sud-africaine et a mobilisé 50 000 soldats en Angola. Le régime de l’apartheid subit alors une lourde défaite, l’obligeant à se retirer d’Angola puis de Namibie, pays qui accéda à son indépendance deux ans plus tard.

Cette aide cubaine, qui a fortement contribué à la chute de l’apartheid en 1994, a été régulièrement saluée par Nelson Mandela. "Pour le peuple cubain, l’internationalisme n’était pas un mot creux, mais quelque chose que nous avons vu mettre en pratique", a déclaré, en 1991, Madiba, qui a choisi de se rendre à La Havane pour son premier voyage officiel après sa libération.

Le dictateur

La chute du bloc de l'Est en 1989, puis la disparition de l'Union soviétique en 1991 provoquent un choc à Cuba, qui perd alors ses principaux partenaires économiques et ses soutiens sur la scène internationale. À l'aube des années 1990, l'économie s'effondre et le pouvoir d’achat des Cubains chute de 50 %. Fidel Castro décrète alors "la Période spéciale", pour résister aux nouvelles mesures américaines visant à renforcer le blocus.

Craignant d'être renversé, à l'instar des autres dirigeants communistes, le Lider Maximo accroît la répression dans l’île envers les médias et surtout les dissidents politiques. De nombreux Cubains, confrontés à la pénurie et au rationnement alimentaire, n’adhèrent plus à l’idéologie révolutionnaire et tentent de s'exiler, en particulier aux États-Unis.

Après 49 années à la tête de l'île, il se retire de la vie publique en 2006 pour raisons de santé. Il laisse la place à son frère Raul, alors âgé de 75 ans, contraint à réformer le modèle économique socialiste au bord de la faillite.

L’invité français

Fidel Castro se rend en France pour la première fois en mars 1995 dans le cadre d'une visite officielle à l'Unesco. Il est reçu en tant qu'officiel de la République à l’Élysée par François Mitterrand et son épouse Danielle. Et ce, malgré l'opposition de la droite et notamment du Premier ministre Édouard Balladur.

Mais la plus grande polémique vient du geste de Danielle Mitterrand : la Première dame, également présidente de la Fondation France-Liberté, qui mène des actions de solidarité avec Cuba, a embrassé Fidel Castro sur la joue en posant ses mains sur ses épaules, suscitant l’indignation de toute la classe politique en France.

Extrait du discours de Fidel Castro à l'Unesco à Paris, le 13 mars 1995. À cette occasion, il demande la levée du blocus de Cuba.

L’ascète

Toute sa vie, Fidel Castro a répété mener une vie modeste dénuée de luxe, en se nourrissant de façon frugale. Dans les années 2000, il affirmait même que son salaire, inchangé depuis 1959, tournait autour de 30 dollars par mois.

Toutefois, son ancien garde du corps personnel, Juan Reinaldo Sanchez, qui l’a côtoyé durant 17 ans, est venu contredire ses dires. Dans son livre "La Vie cachée de Fidel Castro", paru en 2014, il révèle que le Commandante possède une île aux abords de la Baie des Cochons, sur laquelle se dresse une villa de luxe. En 2006, le magazine américain "Forbes" a évalué la fortune de Fidel Castro à 900 millions de dollars américains.

Pour répondre aux accusations portées par la magazine Forbes, le leader Maximo mobilise l’antenne de la télévision cubaine pendant 4 h 30.

L’immortel

"Ils m’ont déjà donné pour mort un certain nombre de fois" - Fidel Castro -

Fidel Castro a été enterré par ses détracteurs à de nombreuses reprises. La première remonte au 26 juillet 1953, après l'attaque de la Moncada. Le jeune révolutionnaire de 26 ans est déclaré mort par les autorités, alors qu’il a pris la fuite et n’est pas encore capturé. Au cours de son arrestation, Fidel Castro, qui craint d’être exécuté, profite de la présence de journalistes pour révéler son identité.

Dès son arrivée au pouvoir en 1959, les rumeurs sur sa mort se multiplient. Il faut dire que les complots contre le dirigeant cubain, ennemi juré des États-Unis, se comptent par centaines. Les services de sécurité cubains en dénombrent 600, parmi lesquels le cigare empoisonné, le milk-shake au cyanure, ou encore les explosifs dans ses chaussures. Méfiant, Fidel Castro réussit à échapper au pire en changeant régulièrement de lieu de résidence.

Les rumeurs concernant sa mort continuent de s’amplifier quand Fidel Castro s’éloigne de la scène politique, en 2008, pour raisons de santé. En août 2011, plusieurs milliers de personnes reçoivent un email annonçant le décès du leader cubain. La fausse information circule jusqu’à ce que le quotidien espagnol basé à Miami "El Nuevo Herald" dénonce un "virus informatique" dans la pièce jointe du spam. Fidel Castro réapparait quelques jours plus tard devant les médias. L’année suivante circule une photo de lui sur son lit de mort. Face à toutes ces rumeurs, il finit par dire : "Le jour où je serais vraiment mort, personne ne le croira".

Crédits

  • Texte : Ségolène Allemandou pour France 24
  • Photos : AFP
  • Édité par Olivier Bras et Cassandre Toussaint
  • Archives sonores : Véronique Barral pour RFI
  • Conception, design et développement : Studio graphique / France 24