Le 1er juillet 1916, Britanniques et Français lançaient une grande offensive dans la Somme, dans le nord de la France. En cinq mois, cette bataille fit plus d’un million de morts, de blessés et de disparus, toutes nationalités confondues. À l’occasion du centenaire de ces combats, emblématiques de la Grande Guerre, France 24 donne la parole à ses journalistes, descendants de soldats. Pour leur rendre hommage, ils nous racontent l’histoire de leurs ancêtres.





Albert Charles Todd


par
Tony Todd


Albert Charles Todd, mon grand-oncle, a été porté “disparu, probablement mort”, après que son bataillon a été sorti de sa tranchée à 7 h 30 le 1er juillet 1916. C’était le premier jour de la bataille de la Somme mais aussi le plus meurtrier de l’histoire militaire britannique.

Mon grand-oncle était adolescent quand la guerre a éclaté et n’avait que 17 ans quand il s’est engagé dans l’armée britannique, en mentant sur l'année de sa naissance. En ce début d'été 1916, lui qui n’était qu’un jeune homme originaire de Hastings, sur la côte sud de l'Angleterre, avait tout juste 18 ans quand il a été propulsé dans la barbarie de la Première Guerre mondiale.

Le 1er juillet, son bataillon, le 12e du régiment de Londres, avait un objectif : reprendre aux Allemands le village fortifié de Gommecourt, situé à l’extrême nord du front de la Somme. Il s’agissait d’une attaque de diversion pour éloigner l’ennemi de l’assaut principal qui avait lieu plus au Sud. La plupart des hommes du bataillon d’Albert n’ont malheureusement pas atteint leur objectif, et ceux qui ont réussi ont été repoussés par des adversaires allemands déterminés.



Albert Charles Todd n’avait que 18 ans lorsqu’il a perdu la vie au cours de la bataille de la Somme.


Le bataillon a ainsi perdu les deux tiers de ses effectifs lors de cette seule journée. Albert faisait partie de ceux qui n’ont pas pu répondre à l’appel de leur nom le soir après les combats. Tué en ce funèbre 1er juillet, mon grand-oncle n’a pas de sépulture, à l’instar des 75 000 hommes dont les corps n’ont pas été retrouvés au cours de cette bataille. Son nom est cependant inscrit sur le gigantesque monument de Thiepval érigé en l’honneur de tous les disparus.

La mort d’Albert a été une perte incommensurable pour ses parents, sa sœur et son petit frère, Bill, mon grand-père. Tout au long de sa vie, il a gardé cette douleur au plus profond de lui. Les fils de Bill, mon père et mon oncle, ont grandi avec cette tragédie familiale. Ce devoir de mémoire et cet intérêt sont restés très forts dans notre famille, même au sein des troisième et quatrième générations.



Le nom d’Albert Charles Todd apparaît sur ce registre du monument de Thiepval.


Cent ans après, nous serons tous ensemble le 1er juillet à Hébuterne, un petit village, à l’ouest de Gommecourt. Nous commencerons notre parcours près de l’ancienne ligne de tranchée, que nous avons pu identifier grâce à d’anciennes cartes et à un peu d’aide sur Internet. Nous nous rendrons ensuite jusqu’au cimetière britannique n°2 de Gommecourt, quelques centaines de mètres plus à l’Est. C’est jusqu’à cette limite que les ‘Rangers’, les hommes du bataillon d’Albert, ont avancé sous le feu ennemi, il y a exactement un siècle.



"La mort d’Albert a été une perte incommensurable pour ses parents, sa sœur et son petit frère, Bill, mon grand-père. Tout au long de sa vie, il a gardé cette douleur au plus profond de lui."




John O'Leary


par
Mark Owen


Je travaille à France 24 depuis les débuts de la chaîne, en 2006. Je fais souvent des allers-retours en Angleterre pour retourner voir ma famille et mes amis. Ce trajet est toujours un vrai plaisir. À l’aller, je ressens la joie des retrouvailles puis au retour, le bonheur de retrouver mon chez-moi, en France.

Sur le chemin, je passe souvent par la Somme. Par la baie de Somme, pour être précis. À chaque fois, je suis stupéfait par la splendeur de cet endroit, été comme hiver. Mais j’ai du mal à le traverser sans penser aux soldats qui sont morts sur le champ de bataille de cette région, il y a 100 ans.

Mon grand-oncle était l’un d’entre eux. Il s’appelait John O’Leary. Il a perdu la vie le 5 août 1916, en pleine bataille de la Somme. Ce jour-là, ces terres n’avaient rien des paisibles étendues d’aujourd’hui, si calmes que les oiseaux choisissent d’y nicher. Elles n’étaient plus qu’un champ de bataille, un champ de mort.



Cet insigne représentant un cheval
est celui du régiment de John O’Leary,
le King’s Regiment de Liverpool. © North East Medals


John n’avait que 21 ans. Il était simple soldat, membre du 9e bataillon du King’s Regiment de Liverpool sous le matricule 3777. Ces informations figurent sur la fiche que ma famille a obtenue des autorités britanniques. Le télégramme que mon arrière-grand-mère a reçu en 1916 pour annoncer le décès de son fils ne contenait pas grand-chose de plus.

Ma grand-mère ne m’a parlé de son frère qu’une seule fois. J’étais tout jeune, j’avais sept ou huit ans. Elle m’a raconté que John était un jeune homme très beau qui aimait s’amuser. J’ai, de ma grand-mère, l’image d’une femme souriante et heureuse. La première et seule fois où j’ai vu la tristesse envahir son visage, c’est le jour où elle a évoqué son frère. Je revois encore cette ombre qui a subitement creusé ses traits. Ce fut une conversation très courte car elle s’est rapidement arrêté de parler. Elle avait les larmes aux yeux.



Le nom de John O’Leary est indiqué sur le registre du monument aux disparus de Thiepval dans la Somme.


Quand j’étais petit, nous n’évoquions jamais la Première ni la Seconde Guerre mondiale avec mes proches. Cela est surprenant car beaucoup d’hommes de ma famille y ont pris part, notamment mon grand-père ainsi que ses sept frères. Ils détiennent d’ailleurs le record de la plus grande fratrie impliquée dans un conflit… Les femmes de ma famille n’ont pas chômé non plus : ma grand-mère s’est échinée dans une usine d’armement de Liverpool.

Je n’ai découvert les détails de la mort de John O’Leary que récemment. Mon grand-oncle faisait partie d’un régiment local de Liverpool. Chacune des rues de la ville, de l’église du Sacré Cœur jusqu’aux docks du port en passant par Scotland Road, a connu son lot de morts. Des maris, des fils, des frères, partis en France pour se battre et qui ne sont jamais revenus. Quand je traverse la Somme, je suis à la fois ému par la beauté du paysage, mais je suis aussi envahi par les esprits de tous les hommes tombés durant la Grande Guerre sur cette terre. Je pense alors à ma grand-mère et à son frère John O’Leary.



"J’ai, de ma grand-mère, l’image d’une femme souriante et heureuse. La première et seule fois où j’ai vu la tristesse envahir son visage, c’est le jour où elle a évoqué son frère. Je revois encore cette ombre qui a subitement creusé ses traits."




John Young


par
Annette Young


Né en 1893, mon grand-père, John Young, avait à peine terminé sa période d’apprentissage comme menuisier dans l’entreprise de mon arrière grand-père à Cheshire, dans le nord-ouest de l’Angleterre, lorsque la guerre a éclaté. En 1915, à l’âge de 22 ans, il a été appelé pour rejoindre les Royal Engineers (ingénieurs royaux). C’est avec ce corps d’armée qu’il s’est retrouvé dans la Somme en tant que sapeur. Mon père avait l’habitude de me dire que, lorsqu’il était enfant, il avait essayé à plusieurs reprises de le faire parler sur son expérience sur le front mais il se heurtait au silence de mon grand-père. Beaucoup plus tard, lorsque le syndrome post-traumatique a enfin été reconnu dans la société, ma famille a réalisé qu’il avait dû en souffrir.

Les rares histoires que mon grand-père avait bien voulu raconter concernaient le quotidien des sapeurs dans les tranchées. La nuit, par groupe de 15, ils devaient parcourir le no-man’s land pour déposer des mines, des pièges ou encore du fil barbelé. Lors d’une terrible soirée, seulement huit de ces hommes sont revenus.

Cet insigne est celui du régiment de John Young, le corps des Royal Engineers.


Souvent, ils avaient aussi pour ordre de nettoyer l’équipement militaire qui était récupéré sur le champ de bataille. Un jour, dans une tranchée, mon grand-père était en train de s’occuper d’une grenade, lorsque la goupille, qui s’était rouillée, s’est cassée. Réalisant ce qui venait de se passer, il a essayé de la jeter dans les airs, mais elle a explosé dans ses mains. Bien qu’il ait été touché par des éclats de métaux, aucun n’a atteint l’une de ses artères. Mais trois de ses camarades qui se tenaient derrière lui ont perdu la vie lors de cet accident.

Après cette explosion, il a immédiatement été envoyé dans un hôpital de campagne. Lorsqu’il a repris ses esprits, le personnel a été vraiment surpris qu’il soit toujours en vie. Une infirmière lui a alors annoncé le décès de ses camarades, ce qui n’était vraiment pas très judicieux, selon mon père. John a été terriblement choqué et il ne s’en est jamais remis. Pour lui, c’était par sa faute que ces trois jeunes hommes avaient trouvé la mort. Mais à l’époque, personne n’avait encore vraiment conscience des traumatismes psychologiques et de ce qu’ils pouvaient engendrer.

Mon grand-père a ensuite été transporté à Aberdeen en Écosse où un chirurgien a réussi à sauver son bras. C’est à cette époque que cette photo a été prise. On peut le voir lors de sa convalescence. Lorsque je regarde ce cliché, cela me rend triste car je vois un jeune homme, qui n’a même pas 23 ans, déjà témoin des pires aspects de la nature humaine.



La famille de John Young a conservé cette photo prise lorsqu’il était en convalescence durant la guerre à l’hôpital d’Aberdeen en Écosse.


Après son hospitalisation, en raison de ses blessures, mon grand-père n’a pas pu continuer dans la menuiserie. Il est alors devenu voyageur de commerce avant de monter sa propre entreprise de construction dans la ville de Macclesfield. Un an après la fin de la guerre, il a aussi rencontré ma grand-mère. Dix ans plus tard, mon père est né.

À l’âge adulte, celui-ci a choisi le métier d’architecte, à la grande déception de mon grand-père car à l’époque cette profession ne permettait pas d’avoir des intérêts financiers dans une entreprise de construction, cela aurait créé un conflit d’intérêt. Cela signifiait surtout que qu’il ne pourrait pas hériter de l’entreprise familiale.

Cette situation a plongé mon grand-père dans une profonde tristesse. Avec le recul, mon père a compris qu’il souffrait régulièrement de périodes de dépression, sûrement provoquées par ce qu’il avait vécu pendant la guerre. Ainsi, à l’âge de 62 ans, alors qu’il venait tout juste d’être grand-père, qu’il était un homme d’affaires reconnu et qu’il était aimé par les siens, il a décidé de mettre fin à ses jours. Selon mon père, il n’y a pas eu de signe avant-coureur. Mais il s’agissait de l’Angleterre des années 1950, une époque différente de celle d’aujourd’hui où les soldats qui reviennent d’un théâtre de guerre passent des tests afin de déceler des problèmes psychologiques.

Je n’ai moi-même appris son suicide que lorsque j’avais une vingtaine d’années. Je réalise désormais combien cela a dû être douloureux pour mon père de raconter cette histoire. D’une certaine façon, il devait aussi se sentir responsable de sa mort car il n’avait pas senti sa profonde détresse.

Cela prouve encore une fois combien les horreurs de la guerre se transmettent d’une génération à l’autre, bien des années après qu’une dernière balle de fusil ou un dernier obus de tank a été tiré.

En mémoire de mon père, Gordon Young, qui nous a quittés le 7 mars 2016.



"Il avait essayé à plusieurs reprises de le faire parler sur son expérience sur le front mais il se heurtait au silence de mon grand-père. Beaucoup plus tard, lorsque le syndrome post-traumatique a enfin été reconnu dans la société, ma famille a réalisé qu’il avait dû en souffrir."




George Tate


par
Sam Ball


George Samuel Tate, mon arrière-grand-père, avait 18 ans lorsqu’il a rejoint l’armée en 1911. Dans ma famille, personne ne sait vraiment ce qui l’a poussé à s’engager. Il a grandi avec 13 frères et sœurs dans le quartier populaire d’Islington, au nord de Londres. Avant la guerre, il était porteur de bagages dans les gares. Cet emploi peu lucratif l’a sûrement encouragé à prendre l’uniforme pour espérer gagner plus d’argent mais aussi obtenir une certaine indépendance vis-à-vis de sa famille.

Il a rejoint le 19e régiment de Londres comme simple soldat. Lors de la Première Guerre mondiale, il a été envoyé au front en mars 1915 en France où il a débarqué dans le port du Havre. Il a réussi à survivre tout au long du conflit et à atteindre le grade de sergent.

Dans notre famille, nous ne savons pas grand-chose sur ce qu’il a fait durant la Grande Guerre. Visiblement, il n’aimait pas trop en parler. Ce que je sais de lui, je l’ai appris en consultant des documents officiels. Par exemple, son régiment a combattu dans la Somme, lors de la bataille de Flers-Courcelette en septembre 1916. Ces combats sont connus car c’est là qu’ont été utilisés des blindés pour la première fois. Pour les hommes de cette génération, être témoin de cela a dû être quelque chose d’incroyable.

Mais ce qu’il a fait durant cette guerre, à quoi ressemblaient ses journées et ce qu’il a pu ressentir reste pour moi un grand mystère. Comme beaucoup de ses compagnons d’arme, il a préféré laisser ce passé derrière lui.



George Samuel Tate a conservé toute sa vie la photo de son cheval Betsy qui a perdu la vie sur le champ de bataille.


Je connais cependant quelques détails sur sa vie durant la guerre. Je sais qu’il a eu l’honneur d’être cité pour avoir récupéré le corps de l’un de ses officiers sous un déluge de bombes. Au cours de la Première Guerre mondiale, il montait aussi une jument nommé Betsy. Il en était si proche que lorsqu’elle a été mortellement touchée par balle sur le champ de bataille, il a conservé, de manière assez macabre, son sabot et l’a placé sur sa cheminée à son retour en Angleterre. Il a conservé le souvenir de son cheval et sa photo jusqu’à sa mort en 1975.

Lorsque la guerre a finalement pris fin, il est retourné travailler aux Chemins de fer de Londres. En 1921, il a épousé Mary Ann Edwards, mon arrière-grand-mère.



La famille de Samuel Ball a aussi retrouvé cette photographie, visiblement prise avant guerre. George Samuel Tate est le deuxième soldat en partant de la droite.


Avant que j’entame des recherches, je n’avais que vaguement entendu parler de l’engagement de certains de mes aïeux dans les combats de la Première Guerre mondiale. Cela doit être lié au fait que mon arrière-grand-père lui-même avait voulu passer à autre chose. Mais alors que cette époque se perd peu à peu dans les limbes du passé, je pense qu’il est important de trouver des moyens de s’en souvenir. George et moi partageons peu de choses en dehors de notre ADN. Nos vies ne pourraient pas être plus différentes. Mais désormais, savoir que l’un des miens a traversé la guerre rend cette période plus réelle et plus personnelle. Je suis avant tout heureux qu’il ait fait partie des chanceux qui ont survécu. Sinon, je ne serais pas là.



"Ce qu’il a fait durant cette guerre, à quoi ressemblaient ses journées et ce qu’il a pu ressentir reste pour moi un grand mystère. Comme beaucoup de ses compagnons d’arme, il a préféré laisser ce passé derrière lui."




Jean Jutel

et

Pierre Passelande


par
Stéphanie Trouillard


L e 1er juillet 2015, je me suis rendue en Picardie pour les traditionnelles commémorations de la bataille de la Somme. C’était la toute première fois que j’assistais à cette cérémonie qui se déroule chaque année au pied de l’imposant Mémorial de Thiepval, en hommage aux soldats morts en 1916. J’ai eu l’impression, l’espace d’une journée, de me retrouver en territoire britannique tant il y avait des sujets de sa Gracieuse Majesté, portant fièrement un coquelicot en mémoire des Britanniques disparus au front. Là où tant de leurs ancêtres étaient tombés, Anglais, Irlandais, Gallois et Écossais foulaient une terre qui leur appartient un peu : dans leur mémoire collective, le nom de la Somme est marqué d’une croix rouge sang.

À l’école, on nous enseigne toute l’horreur vécue par les troupes françaises à Verdun ou sur le Chemin des Dames, mais quasiment rien sur la Somme. Dans mon esprit, cette bataille était principalement synonyme de carnage dans les rangs britanniques. En me documentant, je me suis rendu compte de l’ampleur des pertes française sur ces mêmes terres. Et j’ai réalisé à quel point l’histoire qui s’était écrite dans ces tranchées mêlait nos deux nations. Des milliers de poilus ont aussi participé à cette bataille aux côtés des "Tommies" pour tenter de percer le front allemand. Pendant les cinq mois de combats, 200 000 d’entre eux ont été tués, blessés ou portés disparus.

Comme je le fais régulièrement, je me suis plongée dans de vieux documents pour savoir si certains de mes aïeux s’étaient battus sur ce sol picard. J’ai ainsi épluché les registres militaires aux archives départementales du Morbihan, la région d’origine de ma famille. J’y ai découvert que l’un de mes arrière-grands-pères, Joseph Jutel, a échappé à la guerre en raison de problèmes de santé. Souffrant d’un asthme sévère, il a été exempté. Son frère Jean a en revanche porté l’uniforme. Né en 1889, il est mobilisé dès le mois d’août 1914 où il rejoint le 10e régiment d’artillerie de Rennes (10e RAC). Pendant des mois, ce cultivateur breton devenu artilleur se bat notamment dans la Marne, dans l’Artois ou encore en Argonne qu’il quitte en juillet 1916 avec son régiment pour la Somme. Après plusieurs semaines de préparation, le 10e RAC se lance dans les combats de septembre, dans le secteur des villages de Chilly et de Chaulnes. "L’attaque déclenchée le 4 septembre est un brillant succès, tous les objectifs sont atteints", peut-on lire dans l’historique du régiment qui précise toutefois que "les pertes sont sévères". Jean, lui, sort de la bataille de la Somme sain et sauf. Mais un an plus tard, il est intoxiqué par les gaz à Verdun. Après un mois de convalescence, il retrouve le 10e RAC jusqu’à la fin du conflit, avant de rentrer en Bretagne, dans son village de Caro, en juillet 1919, cinq ans après son départ.



Stéphanie Trouillard a choisi deux figurines pour représenter
ses deux arrière-grands-oncles qui ont combattu dans la Somme :
un artilleur et un fantassin de l’armée française.


En fouillant dans mon arbre généalogique, j’ai découvert que la famille de mon père n’avait pas non plus été épargnée par cet épisode de la Grande Guerre. Un autre de mes arrière-grands-oncles a lui aussi été envoyé dans la Somme, Pierre Passelande, le frère de mon arrière-grand-mère Lucie. Une ancêtre que j’ai eu la chance de connaître car elle ne nous a quittés qu’à l’âge de 96 ans. Dans mes souvenirs, je garde l’image d’une douce vieille dame qui nous offrait des caramels lorsque nous venions lui rendre visite dans sa petite maison du Golfe du Morbihan. Enfant, j’étais loin d’imaginer ce qu’elle avait pu vivre à mon âge. Dans son village du Tour-du-Parc, elle a vu partir beaucoup d’hommes de sa famille, uniforme sur le dos, dont son frère Pierre. Lorsqu’éclate la guerre, ce dernier n’est âgé que de 18 ans. Il est mobilisé en avril 1915 mais ce n’est qu’un an plus tard qu’il gagne le front avec le 296e régiment d’infanterie. En septembre 1916, le jeune Breton arrive dans la Somme. Aux côtés des Britanniques, il participe notamment à réduction de la poche de Combles. C’est dans cette zone, dans le village de Sailly-Saillisel, que Pierre est blessé le 21 novembre par des éclats d’obus alors qu’il se trouve dans un poste avancé. Sur une fiche que j’ai retrouvée auprès des archives du service de santé des armées, il est mentionné une "plaie dans la région scapulaire droite", c’est-à-dire à l’arrière de l’épaule. Pendant près d’un an, mon arrière-grand-oncle est soigné dans des hôpitaux à Paris puis à Saintes. Il repart ensuite pour le front avec le 68e régiment d’infanterie au sein duquel il se distingue. Il est récompensé par la Croix de guerre avec étoile de bronze et la médaille militaire en tant qu’agent de liaison, "qui a toujours assuré son service avec le plus grand courage même dans les moments les plus critiques". Démobilisé en 1919 avec le grade de caporal, Pierre prendra par la suite un autre uniforme, celui de douanier.



Ce document a été conservé par le service des archives hospitalières des armées.
Il a été rempli le 23 novembre 1916 lors de l’arrivée de Pierre Passelande
dans un hôpital parisien et détaille les blessures dont il souffre.


Je n’ai malheureusement aucune photo de ces deux arrière-grands-oncles. Un siècle après leur participation à la Première Guerre mondiale, ces épisodes de leur vie se sont évanouis au fil des ans, au sein de ma famille. Personne ne nous a transmis leur histoire. À l’occasion du centenaire, je reconstitue peu à peu ce puzzle. À chaque commémoration d’une bataille emblématique de ce conflit, je suis frappée de réaliser que, systématiquement, l’un de mes aïeux y a participé. La Marne, Verdun, le front d’Orient, la Champagne et maintenant la bataille de la Somme. Il y a encore quelques mois, je pensais que seul l’un de mes arrière-grands-pères avait combattu. Je me trompais. Ce sont des dizaines de poilus que j’ai retrouvés dans mon arbre généalogique. En faisant ces recherches, je pense à chaque fois à leur souffrance sur le champ de bataille, mais aussi à celle de ma famille dans son ensemble. Dans les petits villages bretons de mes ancêtres, ce sont des mères, des pères, des sœurs, des frères qui ont vécu avec angoisse ces années de guerre. Une attente interminable. Une douleur indélébile. Certains ont eu la chance de voir revenir leurs proches, indemnes ou blessés, d’autres ne les ont jamais revus. En écrivant ces mots, j’espère les faire revivre un peu et rappeler aussi que nombre de Français ont aussi perdu la vie dans la bataille de la Somme...



"Il y a encore quelques mois, je pensais que seul l’un de mes arrière-grands-pères avait combattu. Je me trompais. Ce sont des dizaines de poilus que j’ai retrouvés dans mon arbre généalogique."