TOUR DU MAGHREB
carnet de route de tunis à tanger
#TourMaghreb
Septembre 2013. Après avoir couvert de nombreuses crises dans le monde, je me lance dans un tour du Maghreb pour offrir un autre regard sur la région.
Ma mission : raconter des histoires de "bords de routes".
Avec mes collègues Adel Gastel et Chris Moore, nous partons à la rencontre des téléspectateurs de France 24 à bord d'un camping car.
Chris, Karim et Adel
(de gauche à droite)
Plus de 3 500 km de reportage en 5 semaines, c'est une première pour moi. Je n'ai jamais eu l'occasion de travailler comme cela. Nous allons traverser la Tunisie, l'Algérie et le Maroc.
La caravane FRANCE 24
en route vers le Maghreb
(durée : 1:25)
Carte du Tour du Maghreb
(cliquer pour agrandir)
Avant de partir, il faut négocier nos autorisations de tournage dans les trois pays. Impossible d'exercer librement notre métier sans ces précieux sésames.
Le tour du Maghreb débute donc avec des dizaines de coups de téléphone, de courriels et beaucoup de négociations. Le Maghreb que nous allons traverser est en pleine mutation.
Karim Hakiki
Port de Tunis
Après quatre heures de négociations, notre caravane est enfin autorisée à sortir du port de Tunis. Les autorités semblent redevenues aussi tatillonnes que sous Ben Ali.
Ce n'est que le début des ennuis : il faut maintenant manœuvrer l'engin de 10 mètres de long et 6 mètres de haut. Le port de Tunis n'est pas adapté pour des gabarits monstres comme notre camping car. Enfin, nous parvenons le soir à l'avenue Bourguiba sous les yeux médusés des Tunisiens.
Adel Gastel à l'arrivée
dans le port de Tunis
Tunis
Trois ans après le début de la révolution de Jasmin (2010-2011), les militaires et les barbelés encadrent toujours l'avenue Bourguiba, haut lieu de la contestation tunisienne.
A proximité du ministère de l'Intérieur,
les barbelés sont là depuis des mois
Après la révolution, les élections législatives d’octobre 2011 ont amené les islamistes d’Ennahda au pouvoir. Puis en janvier 2014, le Tunisie adopte une nouvelle Constitution, la première dans le monde arabe à reconnaître la liberté de conscience. Dans la foulée, l’homme politique libéral Mehdi Jomaa est nommé premier ministre et forme un nouveau gouvernement.
Début des manifs sur #Bourguiba #Tunis #Tunisie pic.twitter.com/bwIlj0ErKj
#TourMaghreb
Quelle est la place des femmes
dans cette nouvelle société tunisienne ?
L'histoire de deux étudiantes de Tunis.
(durée : 2:40)
Sidi Bouzid
Après Tunis, cap au sud, à Sidi Bouzid, petite ville pauvre du centre du pays. Sidi Bouzid est le berceau de la révolution tunisienne, le lieu où Mohamed Bouazizi s'est immolé par le feu le 17 décembre 2010.
Le mouvement de protestation populaire qui a suivi le geste désespéré de ce marchand ambulant a contraint le président Zine el-Abidine Ben Ali à quitter le pays le 14 janvier 2011 pour Djeddah, en Arabie Saoudite, où il est toujours réfugié.
Nous aurions bien fait un tour à Djerba,
mais ce n'était pas
tout à fait sur la route
Pour atteindre Sidi Bouzid, nous empruntons des petites routes poussiéreuses. Ici, la situation n'est pas tout à fait stabilisée depuis la révolution et nous rencontrons une certaine hostilité.
Pour ne pas être trop visibles, nous décidons de laisser notre caravane derrière nous. Nous arrivons dans la petite ville tard le soir.
Soundous, policière à Sidi Bouzid, nous a attendus toute la journée. Elle doit rentrer chez elle pour s'occuper de sa fille. On se donne rendez-vous le lendemain matin. Cheveux attachés, uniforme tiré à quatre épingles, Soundous est fière de son métier.
À la rencontre de Soundous,
policière à Sidi Bouzid - #TourMaghreb
(durée : 2:59)
Mais voila, pas facile d'exercer son autorité dans une zone reculée de Tunisie. Pas facile non plus de travailler dans un univers masculin.
À la rencontre de Soundous,
policière à Sidi Bouzid - #TourMaghreb
(durée : 0:32)
Gafsa
Après Sidi Bouzid, nous nous enfonçons dans le sud tunisien : direction le bassin minier de Gafsa. Une contrée au paysage lunaire, aride et quasiment stérile.
Les principales villes du bassin de Gafsa
Metlaoui
(37 000 habitants)
Redeyef
(26 000 habitants)
Oum el-Araïes
(24 000 habitants)
M'dhila
(12 000 habitants)
Elles vivent presque exclusivement du travail à la mine.
Ici le phosphore est roi.
La région de Gafsa, qui est le centre de la production de phosphates en Tunisie, a été le théâtre d'une révolte sanglante en 2008 contre le régime de Zine el-Abidine Ben Ali.
#Gafsa , #Tunisia 27-07-2013 Right now ! Violent Clashes BetweenProtesters and Police. pic.twitter.com/noRIhiMQHg
#TourMaghreb
Alors que je filme une usine de phosphore au loin, une voiture s'arrête devant nous. Le conducteur est très agressif envers mon collègue Chris Moore et moi-même.
Sur un ton menaçant, il nous accuse d'être des espions israéliens.
L'homme semble être "un gardien de la révolution", une milice autoproclamée qui prolifère dans ces zones de non-droit du sud tunisien.
Après discussions, nous décidons de quitter rapidement cette région. Le désert algérien étant trop dangereux à traverser, nous remontons vers le nord jusqu'à la route qui longe la côte.
Le taux de chômage
dans la région est l'un des
plus élevés du pays :
plus de deux fois supérieur
à la moyenne nationale,
qui est de
10 %
Dans le désert de Gafsa, le phosphore est roi
Port d'Alger
Je redoutais énormément l'entrée au port d'Alger, mais à ma grande surprise, l'accueil est très chaleureux et nous passons sans encombre.
Le tour du Maghreb continue. #Tunisie #Algerie #Maroc #france24 pic.twitter.com/Kgh6GY6UP4
#TourMaghreb
Les douaniers algériens n'en reviennent pas de voir notre caravane sortir du port. Et c'est aux cris "allez France 24 !" que nous rejoignons la grande Poste, le centre d'Alger.
Bologhine
Pour mon premier reportage en Algérie, le foot s'impose. C'est l'un des rares loisirs accessibles aux Algériens. Le vendredi, les stades sont pleins. Immersion dans le club de l'USMA à Bologhine, dans le quartier historique de Bab el Oued. Sur la pelouse du stade, j'écris mon plateau de situation avec l'aide de mon collègue Adel Gastel.
L'USMA, club de la capitale, reçoit le CS Constantine. L'ambiance dans les vestiaires et dans le stade est surchauffée. Les Algériens entretiennent une longue histoire d'amour avec le foot.
À chaque match s'exprime la passion des supporters - #TourMaghreb
(durée : 0:15)
Biskra
Depuis la "décennie noire" du terrorisme dans les années 90, le pays est plongé dans une douce léthargie. Même si certains tentent de faire bouger les choses, notamment dans le domaine touristique. C'est le constat que je fais à Biskra, la porte du désert.
Le gouvernement algérien n'a jamais vraiment misé sur le tourisme
Pour rendre le tournage intéressant, il me faut du mouvement. Or les autruches refusent de collaborer.
Heureusement Adel parle l'autruche…
Adel parle l'autruche
(durée : 0:27)
Les chameaux avaient totalement disparu de la région. Bachir a donc décidé de les réintroduire en créant une ferme. Les Algériens viennent de loin pour se procurer du lait de chamelles, très prisé pour ses vertus médicinales.
Le lait de chamelle,
très prisé par les algériens
Le lait de chamelle est très épais, impossible pour moi de le goûter sans haut-le-cœur. Trop lourd à digérer. Selon Bachir, ce lait, mélangé à un peu d'urine de chameau, peut soigner presque tout : les maladies du foie, l'asthme et même les cancers. Mais aucune étude médicale sérieuse n'a confirmé cela.
(durée : 0:25)
Je quitte Biskra en promettant d'y revenir. La région dispose d'atouts exceptionnels pour le tourisme, mais tout reste à faire. Il n'y pas pratiquement pas d'infrastructures hôtelières dans la région, ni de restaurants ou de sites à voir.
Oran
Je reprends la route vers Oran et l'ouest algérien. Le paysage défile et l'orage se prépare. Il y a de l'électricité dans l'air.
Puis soudain le ciel se déchire et des trombes d'eau saluent notre arrivée à Oran. C'est violent mais court : le ciel bleu revient aussi vite.
Oran, la patrie du Raï
Oran, c'est la patrie du raï, la ville natale de chanteurs mondialement connus comme Khaled. Avant d'aller tourner dans un studio d'enregistrement, je réalise un plateau sur la place d'Armes, devant les célèbres statues de lions. Mais j'ai à peine commencé qu'une femme s'avance vers moi…
Oran, une population parfois hostile
(durée : 0:20)
Temps humide à Oran, je disais ! Ensuite nous rencontrons Cheb Hossam, un jeune prodige du raï. Il a connu le succès avec une chanson intitulée :
"shampoing, shampoing, gel douche, gel douche". Un succès qu'il assume à peine.
Rencontre avec Cheb Houssem
un jeune prodige du Raï
(durée : 0:27)
Passer de l'Algérie au Maroc par voie terrestre est plus facile à dire qu'à faire. La frontière est fermée depuis 1994, à cause des tensions entre les deux pays.
Dernière photo
devant la gare d'Oran,
avant de quitter l'Algérie
Au lieu d'emprunter la route qui longe la côte, nous devons prendre un ferry pour Almeria, en Espagne, puis un autre pour Nador, au Maroc…
Il va nous falloir 48 heures de voyage pour effectuer un trajet qui aurait pris deux heures par la route. Nous sommes en plein Aïd el Kebir, grande fête musulmane qui commémore le sacrifice d'Abraham.
La longue traversée Algérie-Maroc - #TourMaghreb
(durée : 1:23)
Les contrebandiers d'essence traversent la frontière avec de petites motos chargées de gasoil algérien qui sera vendu illégalement au Maroc.
De Nador, cap au sud. Pour arriver à Ouarzazate, il nous faut traverser la chaîne de montagnes, l'Atlas, avec ses petites routes en lacets.
Ouarzazate
Ouarzazate, c'est le Hollywood marocain. Nous visitons les studios où ont été tournés des films comme Laurence d'Arabie ou Gladiator. Un travail rendu possible grâce aux petites mains marocaines.
Maroc, cinéma l'envers du décor
(durée : 0:24)
Les décors sont monumentaux. Le cinéma est une manne inespérée pour les habitants de Ouarzazate qui se sont spécialisés dans la figuration de films bibliques. Il faut dire qu'ici il y a des gueules de cinéma.
Une équipe sud-africaine tourne un film sur la vie de Jésus pour des évangélistes américains. Les comédiens doivent faire semblant de parler, le son sera coupé au montage. Du coup les figurants se lâchent.
Maroc : la figuration est un bon travail
(durée : 0:22)
Les kilomètres défilent comme les paysages marocains. Au bout de la cinquième semaine de tour du Maghreb, la fatigue commence à se faire sentir. Chris Moore et Adel Gastel souffrent d'une rage de dent. Il est temps d'achever ce long voyage avec la dernière étape : Tanger.
Tanger
Je n'avais jamais mis les pieds à Tanger, ce port qui unit deux continents et deux mers. Tanger fait partie de ces villes qui évoquent des choses très fortes, une présence littéraire et artistique ancienne. De grands auteurs comme Hemingway, Kerouac ou Kessel sont passés par là.
Tanger est au carrefour de deux mers
et deux continents
La librairie des Colonnes a longtemps été un passage obligé pour ces écrivains voyageurs. Jean Genet était un habitué de cette librairie, succursale de Gallimard, où l'auteur des "Bonnes" venait chercher les avances envoyées par son éditeur.
Après un mois de voyage, la mission est accomplie. L'aéroport de Tanger, où j'attends l'avion, est le lieu d'une dernière rencontre avec ce bagagiste à qui j'offre un café et mon T-shirt France 24. Une jolie manière de clore ce long périple 3 500 km.
Nous imaginions le Maghreb comme une entité globale. Nous avons en fait découvert une région où chaque pays a une identité forte, sans lien entre eux.
Adapté d'un grand reportage France24 de Karim Hakiki, Adel Gastel et Christopher Moore.
Conception interactive : Lydia Berroyer et Marianne Rigaux
Graphisme : Studio graphique France Médias Monde
Développement : Sacha Quester-Séméon